CHARLOT : Trente-quatre plus trente-quatre... ROYAL : Le compte n'est pas bon. Faudra attendre les dates anniversaires. Août. Octobre... CHARLOT : Manquent donc au moins deux fêtes et trois trimestres. Manquent un été et une révolution pour faire soixante-dix. Tomber pile. Un numéro de jumeaux parfaits, plein de symbolique, d'arithmétique et de philosophique, mieux que les vénitiens. Merde... ROYAL : ... et sang ! CHARLOT : C'est du Churchill ? Ou du Louis Guilloux ? ROYAL : Non, du Regnaut. Millésime entre soixante et soixante-huit, j'ai oublié. Pas le texte, non : agrafé, couverture violacée. Avant soixante-dix pour sûr. Soixante-dix... Pour toi, pour moi, une autre vie. A l'identique, plus quelque chose. CHARLOT : Bon, bon. Attends midi. Fais la lecture. ROYAL :
CHARLOT : Dix heures quarante cinq seulement. Merde... ROYAL : ... et sang ! CHARLOT : Arrête avec ça. Et si on faisait un quat' vingt-et-un ? ROYAL : Pas l'heure. Demi. CHARLOT : Café. On en était où ? Trente-quatre plus trente-quatre... ROYAL : Le compte n'est pas bon. Manquent trois trimestres. Manqueront toujours pour faire la paire. Affaire de logique, d'état civil aussi. Papiers ! CHARLOT : Bougies ! Soixante-dix ! Et tant pis si on fait pas la paire, on dira que c'est la faute au calendrier grégorien. Et le nestorien, il peut pas nous aider, le nestorien. M... ROYAL :
CHARLOT : Tu disais ? ROYAL : Rien, rien. Je lisais. Simplement, je pensais : c'est crétin de chercher à tuer le temps à coup d'état civil. Tes trente-quatre et mes trente-quatre, même sans le calendrier grégorien ni la calculette, ça ne fera jamais soixante-dix. CHARLOT : Soixante-huit ! C'était un bon cru en rouge, je crois, mais ça a vite tourné bourgeois. ROYAL : Soixante-huit et deux... Au fait, qu'est-ce que tu faisais à cette époque ? CHARLOT : J'étais sur les barricades du Palais U à Strasbourg. J'avais cinq ans et déjà le lait dans le café en horreur. ROYAL : Pauvre vieux ! Moi, je faisais mon jogging au château de Versailles. CHARLOT : Et tu ruminais ton Regnaut ? ROYAL : Il préférait la Commune. Pour tout te dire, c'est le printemps soixante et onze qui l'inspire : « La forme nouvelle enfin trouvée ». CHARLOT : Là, tu m'auras pas, c'est du Marx. Bingo ! J'suis grand seigneur, je vais te laisser ta chance. Pourquoi pas au quat' vingt-et-un ? Ça doit bien être l'heure, sur une quelconque horloge. Et puis, un coup de dés abolira bien notre ennui. Hé ! hé ! ROYAL : Pas l'heure. Demi. CHARLOT : Café. Et alors, pourquoi pas concocter un numéro de trentenaires sur l'imaginet de Regnaut ? On recommence, on se concentre. On s'enregistre, on se corrige. Crayon rouge, et le tour est joué. Y a plus qu'à claver. Dossier : les grands mystères de l'arithmétique humaine, enfin mis à jour par deux trentenaires. Avec le concours exclusif d'Orphée, de Rilke et de ses pairs. Un scoop, mieux que Kafka et Beckett réunis devant un coup de rouge avec Godot et Regnaut. Une pronostication, Louvain, à côté, c'est zéro. ROYAL : Plus l'heure. C'est bientôt midi. CHARLOT : M... ROYAL : ... CHARLOT : Tu disais ? ROYAL : Rien, rien. Simplement, je réfléchissais... CHARLOT : T'as ton invitation ? T'as pris l'Equipe et le Rilke ? ROYAL : ... je pensais : sur imaginet, Internet, dans la Maison des écrivains, "métro Bac ou Solférino" s'il vous plaît, un micro-ordinateur portable sous le bras ô "motus et bouche cousue", mais bon, ça sert quand même... ó, ça doit être la vraie fête à soixante-dix... CHARLOT : T'as l'adresse ? ROYAL : Rue de Verneuil, au cinquante-trois. FIN PROVISOIRE.
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