Cher Maurice,

 

Les bouches l'ont soufflé aux cordons. Les cordons l'ont chuchoté aux cristaux. Les cristaux l'ont répété aux neutrons. Les neutrons en ont porté la nouvelle aux étoiles.

Et l'Iroquois qui fumait le calumet à la porte de son tipi, et le Lapon qui dépeçait un phoque à deux pas de son igloo, et le Boschiman qui bandait son arc en direction de l'antilope, et le sherpa qui posait son fardeau au bout de son pas monotone, et même le jardinier en béret déteint qui rêvait sur le banc de son cabanon en planches, tous l'ont appris, étonnés de voir dans le ciel à la place des astres scintiller des mots.

Alors l'Iroquois fumeur, le Lapon dépeceur, le Boschiman bandeur, le sherpa poseur, le jardinier rêveur sont accourus vers la maison des mots qui chantent, en ce jour presque d'Epiphanie, et leur choeur fut repris par tous les saints alentour : saint Germain, saint Michel, saint Sulpice et jusqu'à saint Eustache, saint Gervais ou saint Augustin, tous hosannèrent d'une forte voix : "Maurice a soixante-dix berges !"

Un seul manqua à l'appel : il n'était ni jardinier, ni saint, ni Iroquois, ni Lapon. Il persistait à penser que les ivresses des électrons sidéraux ne valaient pas la tranquille volupté d'une plume sergent-major, et qu'aucun éclat de cristal glacé, fût-il de diamant, n'égalerait jamais en charge de bonheur la carene suave du papier qui coule sous la main qui écrit. Comme on pouvait s'y attendre, les dieux le punirent de sa témérité : la plume sergent-major rouilla, le papier se déchira, les électrons le boudèrent. Il ne fut donc pas de la cérémonie.

La seule tristesse fut de ne pas avoir pu, dans ces conditions, grossir le choeur des anges et des mages, et le bouquet de mots roses qu'ils ne manquèrent pas d'offrir à Maurice en ce jour solennel.

Les lendemains de fête parfois sont gris. Les rubans froissés traînent dans la poussière. Les confetti refusent de quitter les coins. Les verres vides portent les marques des lèvres absentes. Peut-être, avant de balayer pêle-mêle les reliefs du festin, tes yeux tomberont-ils sur ce bout de papier qui n'a d'autre désir que de te faire savoir qu'à cent lieues de la fête quelqu'un qui n'était ni Lapon, ni Iroquois, ni même jardinier, pourtant levait son verre, - plein -, à ta santé.

De tout coeur

 

Jean-Paul Schneider

 





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