Le Seigneur des Sanglots

Ce vieux guerrier au crâne tout chauve, et visière encore sur le front, qui est là, les yeux grands ouverts, à fixer toute cette eau devant lui, ce vieux héros si calme et triste, avec ses deux cygnes blancs qui surveillent, eux aussi, leur regard tourné vers le profond de l'eau, ce vieux paladin qui attend déjà depuis si longtemps, sais-tu quel nom il porte ? On l'appelle Seigneur des Sanglots.

Il était parti, il y a des siècles de cela, guerroyer en terre étrangère, et loin, très loin, si loin qu'un jour la nouvelle arrive, au château où sa Dame l'attendait, qu'il était mort. La Dame alors, folle de chagrin, se jette dans l'étang sous les yeux de ses beaux cygnes blancs qui jamais ne l'avaient quittée. En vérité le chevalier n'était pas mort et quand il est revenu et qu'on lui a dit où était sa dame, morte, noyée, alors il s'est juré qu'il ne bougerait plus de là où tu peux le voir, son casque toujours sur la tête, jusqu'au jour où sa Dame remontera à la lumière, où tous les deux enfin se retrouveront ensemble. Il a pris les deux cygnes que sa Dame préférait pour qu'ils guettent avec lui et du soir au matin et du matin au soir, voilà des siècles qu'ils attendent, des siècles qu'ils regardent, tout au fond, la longue, l'immense chevelure de la Dame ondoyer doucement partout dans l'eau sombre. Il attend, fidèle, et le jour il se tait, mais chaque nuit il pleure, on entend ses larmes sans arrêt que le vent éparpille sur l'eau, au fond du noir, et c'est pour ça qu'on l'a appelé et l'appelle toujours Seigneur des Sanglots.

©Maurice Regnaut