Pauvre petit chat

 

"Mais pourquoi est-ce que tout est blanc ? Ma marraine la fée, elle m'a donc oublié, elle ne pense plus à moi ? Sa musique, où est-elle, avec ses oiseaux, mais j'ai faim !"

Le petit chat rêvait à tous les oiseaux que sa marraine la fée avait l'habitude de lui poser là, dehors, sur les fils électriques, et qui étaient tous autant de notes de musique, et la fée ensuite lui jouait la partition en donnant au fur et à mesure à son gentil petit chat les oiseaux déjà joués qu'il croquait alors à belles dents. Ce qu'il avait pu en dévorer, de la musique, et de la belle, et de la grande ! Il se souvenait de la Neuvième Symphonie, il avait à peine avalé une dizaine de mesures qu'il avait attrapé un de ces mals de ventre, la Neuvième, quelle musique indigeste ! Il se souvenait du Beau Danube Bleu, c'était bon par moments, mais il avait dû aussi s'arrêter bien avant la fin du Danube, il avait déjà presque le mal de mer. Il se souvenait du Bolero, il avait tellement froid, ce jour-là, et ce Bolero l'avait bien réchauffé, comme s'il l'avait eu non pas dans l'estomac, mais sur les épaules. Il se souvenait aussi de l'Oiseau de feu, il n'avait pas osé en manger, il avait eu trop peur de se brûler les moustaches. Non, ce qu'il aimait par-dessus tout, c'était La petite musique de nuit, tous les oiseaux en étaient tellement tendres, il n'en laissait pas une seule plume, il s'endormait alors le ventre plein, mais plein, rien de tel vraiment que La petite musique de nuit pour bien dormir. Il se souvenait, il attendait, mais voilà, rien, ce jour-là, rien que ce blanc partout, rien et rien d'autre. C'était la neige peut-être, il en avait peut-être tellement tombé qu'elle avait monté plus haut que la maison, peut-être, et qu'elle avait tout recouvert ? Ce n'était pas du coton, en tout cas, du coton que les ouvriers auraient récolté et déversé là, devant la fenêtre, il n'y a pas de coton ici, il ne fait pas assez chaud dans ce pays, ce n'est pas comme en Californie. Alors qu'est-ce qui se passait ? Le petit chat attendait, attendait, attendait. Ce qu'il ne savait pas, c'est que sa marraine la fée avait tout simplement tiré devant la fenêtre un grand rideau blanc, qu'il ne puisse pas voir ce qu'elle lui préparait, derrière, à son gentil petit chat, ce jour-là, et ce qu'elle lui préparait, c'était... Un peu plus et j'allais tout dire, moi qui ai promis à madame de la fée de ne pas dire un mot, pas un seul, c'est promis c'est promis. Pauvre petit chat, va, attends alors encore un peu et tu verras, ce que je peux te dire quand même, c'est que ce sera magnifique, comme tu n'a encore jamais eu, ce sera... C'est promis et je ne dirai rien. Attends encore un tout petit peu, attends, mais ce que je peux te garantir, c'est que tu peux, toi, te lécher d'avance les babines, ça, tu peux, chatontaine, chatonton, gentil chat croquemiton, gentil chat croquemitaine.

©Maurice Regnaut