LETTRE I (extrait) |
Votre parole à vous, votre parole ici, au coeur de ce monstrueux siècle, au plus épais de cette mêlée inextricablement trop inhumaine, en vérité qu'a-t-elle été, votre parole ici, encore ici, toujours ici, ici à n'en vouloir, à n'en pouvoir jamais finir, qu'a-t-elle été, sinon celle même en effet d'un total féal déchirement ? Servir, oui, tout et tous, vous n'avez voulu que servir, vous ne le pouviez, jeu et pouvoir, que déchiré, et c'est donc ainsi, c'est donc déchiré, encore et toujours plus profondément, que servir, oui, vous l'avez pu : votre grandeur à vous, si elle nous est si immédiate et si secrètement fraternelle et si irremplaçablement, c'est d'être en toute sa nudité, en toute sa vérité, grandeur aussi intensément, aussi cruellement, aussi tragiquement pathétique. |
BALATILA BLUES (extrait) | |
Ce siècle est si lent, si lent, si lent, please, | |
Un chant, Monsieur Coeur, | |
On a ri sur vous, mais la nuit est pire, | |
Un chant malgré l'heure, | |
Aurore en direct, vent, forêts, fenêtres, | |
Et foule en fraîcheur, | |
Multiplex géant du ça va sur terre, | |
Futur à l'honneur, |
Coeur, si c'est mentir, mens que tout demeure | |
Aussi vrai qu'on meurt, | |
Vrai que dans cette ombre une voix qui brûle, | |
C'est même un bonheur, |
Ce siècle est si lent, Big Monsieur Coeur, please ! | |
LETTRE II (extrait) |
Qu'importe tout. Toi. Tu es mort. Ton corps. Soudainement si vite amaigri. Si vite affaibli. Si vite. Oui. Ton corps. Incinéré alors. Sur cette musique aimée. O Voyage d'Hiver. O Sonate Posthume. Et réduit. Ton corps. A ce tout petit peu de cendre. Eparpillé. Au Jardin du Souvenir. Herbe à hurler. O toi. Présent dans ma parole. Ici. Partout ailleurs absent. Te revoir ne sera donc plus possible. Et je t'en veux. C'est vrai. Je t'en veux amèrement. De t'être absenté ainsi. A jamais. D'être ainsi parti. A jamais. De nous avoir ainsi quittés. A jamais. De ne plus pouvoir ainsi nous revenir. Nous parler. Je t'en veux. Oui. T'en veux. Toi. Pourtant. Toi. Ami. Toi. |
HLM BLUES (extrait) |
C'était
un soir de brume, un soir fantôme, et face à moi, Seul au bout du parking, je cherchais des yeux cet immeuble, Et face à moi en un instant se dresse à travers l'ombre Un grand rectangle à carreaux partout bleu pâle et rouge ocre, Un quadrillage étrange en vain tendu droit sur le vide, Tenant en vain lieu de beauté. |
C'était au même instant, | |
C'était
en moi la toujours là, c'était, éclatant toute, Infini gouffre où tout ce qui est vu devient vision, Devient présence à reconnaître et formuler sous peine De folie ou de mort, tout-puissamment c'était l'angoisse, Il me fallait, sur ce damier vertical, face à moi, Sur cette image, et vite, il me fallait mettre des mots, Parler, c'est tout, parler n'importe, il me fallait d'urgence Exorciser la solitude en moi épouvantée, Tout n'est-il pas toujours signe pour nous, jamais vers nous ? |
Et c'est
aussi au même instant, là-haut, qu'une fenêtre En grand s'est ouverte, a surgi une ombre aux cheveux clairs, En robe orange, et la voilà qui tousse et tousse et puis Qui tend les bras : plus rien, délire, effroi, en moi plus rien, Plus rien soudain de cet immense avortement d'extase, Tout n'était plus en moi que paix soudaine et que silence, Et sous mes yeux, bloc droit dans l'ombre, étage après étage, Intérieurs éclairés, stores baissés un peu partout, On y mange, on y bouge, on y vit, beauté toute humaine, Oui, cet immeuble que je cherche, il est là, face à moi. |
Et c'est
ainsi pour toi que je l'écrirai, ce poème, |
LETTRE III (extrait) |
Séparation, telle était pour vous l'origine, et telle la mort ? C'était vers elle, sur le trottoir de gauche, que lentement vous descendiez, le long de la rue Saint-Jacques, avant le boulevard Saint-Germain, quand je vous ai vu pour la dernière fois, par la vitre. Un couple vous suivait, mais à distance, et vous avanciez seul, pardessus chamois, canne au poing, raide, à l'intérieur d'une sphère transparente et que vous faisiez, pas à pas, tourner, solitude et silence, et qui descendait avec vous, pure, lente, à travers le bruit, la lumière, l'invisible nuit, sur cette terre, Ern, où la vie est un miracle amer. |