Ce
soir, je ne sais plus, vois-tu, c'est comme un disque usé, ce soir,
qui dit que dire que se dire que rien ne sert à rien ne sert à rien ne sert à rien, mais ni quoi, ni pourquoi, c'est à peine si je me souviens que toute parole a le sens qu'on est, ce soir, je ne sais qu'une chose, c'est que j'aimerais tout poser, ne serait-ce que pour ce soir, le moins au petit bonheur possible, sous cette peau de taureau, là, rouge de simples grands mots d'amour, réunir les peuples en guerre, aux ailes noires du jour confier la douleur de ceux qu'on torture, et leur espoir aux ailes blanches de la nuit, ceux qu'on a condamnés à mort, les mettre en lieu sûr, tous, derrière les photos sur bois des enfants, et tous les sans-travail, tous ceux qui se disent qu'ils ne sont rien, mais qu'ils en sont peut-être seuls coupables, j'aimerais voir, ce soir, sous cet oiseau en laine multicolore, et qu'enfin ils dorment, et même qu'ils sourient, et libre alors, ce soir, viens, dévêts-toi aussi et viens, sur le tapis, viens t'étendre et laisse-moi ouvrir tes cheveux, placer sous ta nuque une colline avec un chemin blanc, sous ton épaule gauche un cimetière au-dessus des vergers, le château des bois sous ton épaule droite et les tours au loin qui surveillent, et la grande rue au long du ruisseau et la place avec son tournant sur ta poitrine, et la ruelle, sur ta hanche la route et ses énormes marroniers pleins de hannetons et de petits clochetons roses, l'heure du matin qui sonne dans le plus jeune de tes genoux, dans l'autre l'heure du soir, l'odeur des foins et la barrière, l'éponge furieuse des trains, la rivière autour de tes jambes, et tout en haut, avant qu'il ne s'abatte, au milieu des prés laisse-moi, laisse-moi dans cet arbre être l'enfant, l'enfant de rien, l'enfant de haine et de douleur, l'enfant seul parmi les corbeaux, implorant l'horizon de lui redire en toute vérité quelle vie il aurait, plus tard, homme en quel monde. |
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Maurice Regnaut