Maria Mé, dans la nuit des temps, souffle sur la braise en fermant les yeux, puis tend la main vers moi et soudain crie: une vipère qui fuit l'a mordue.



  A quoi bon chercher
A vous rendormir,
Debout tous les trois,
Sans bruit, par rang d'âge,
Allez voir ensemble.
 


Maria Mé, dans la nuit des temps, me prend de la main gauche et m'enfonce en plusieurs points de la morsure, au poignet, le sang me recouvre.



  Barbouillée de rouge
A la bouche, aux dents,
La voilà qui vient
Vers vous, retournez,
Vous qui l'avez vue.
 


Maria Mé, dans la nuit des temps, s'approche de moi, replace entre les draps la jambe du garçon, se penche et contre moi s'écroule.



  Elle est repartie
Sans s'être doutée
De rien, mais dans l'ombre,
C'était si terrible,
Il faut voir encore
 



"J'ai la mort dans le corps" murmure-t-elle en rabaissant le bras, puis elle se refait un chignon en répétant: "Quand même qu'ils mangent."



  Qu'a-t-elle à parler
Aux sacs de farine
En les vidant tous,
Et qu'a-t-elle à boire
A tous les seaux d'eau ?
 


Maria Mé, dans la nuit des temps, déchire toute la manche, s'essuie avec et se remet, gémissant à chaque souffle, à me pétrir.



  Ce visage en sueur,
Ces yeux, ces cheveux
Encroûtés qui pendent,
Et raide, à l'oblique,
Ce grand bras énorme.
 


Maria Mé, dans la nuit des temps, referme le four, se redresse en chancelant, la main sur la poitrine, et revient me poser au bout de la pelle.



  Qu'est-ce que c'est d'autre
Sinon la folie,
Ah fuyez d'ici,
Dans l'état qu'elle est,
Qui sait, fuyez vite.
 


Elle dit: "C'est fait" et joint les mains, elle voit alors les doigts qui bougent, le bras, presque à nouveau normal, qui plie, et le poignet guéri: "Vivante !"



  Et l'entendez-vous,
A travers la nuit,
Ce rire, oui, c'est elle,
Ne vous quittez pas,
Sauvez-vous ensemble.
 


Maria Mé en hurlant cherche au fond de moi. puis tombe à genoux, les bras tendus. et dans la nuit des temps appelle. appelle. appelle...















extrait de RECUIAM © maurice regnaut



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