erreur humaine

 

 



- Bonsoir, Clarelle. Adolphe, j'ai retrouvé. Effectivement il y avait un Adolphe à Auschwitz, un vieil antifasciste, il s'appelait Adolphe Schilling.

- Monsieur Maxime, et moi aussi je vous dois toutes mes excuses. Vous demander à vous de ne pas boire et continuer en même temps, moi, de déguster mon café à petites gorgées, je le reconnais, ce n'était pas très gentil. Ce que je vous propose alors, ce soir, c'est que personne ne boive, ni vous, ni moi, pas de café, pas de whisky, c'est d'accord ?

- Agreed, lady, on essaie.


- Mais vous n'êtes pourtant pas anglais ?

- Ni américain, unfortunately. Votre date de naissance, on pourrait aussi faire des recherches, non ? Votre mère n'a jamais rien fait, si j'ai bien compris, vous non plus ?

- Des recherches, monsieur Maxime, on ne peut même pas trouver des preuves, paraît-il, pour les crimes de guerre, alors pourquoi on en trouverait pour ma naissance ?

- Etrange rapport...

- Mais c'est l'époque, monsieur Maxime.

- Crime et naissance, après tout vous avez raison, toute l'époque est là. Vous aimez l'histoire ?

- Celle des livres d'école ? Un jour, l'instituteur nous avait fait taire, il nous annonce en ouvrant son tableau tout écrit qu'on allait étudier la Grande Guerre, il nous dit qu'à Paris, quand la guerre a été déclarée, il y a eu des milliers et des milliers de gens qui criaient dans la rue : à Berlin, à Berlin, à Berlin ! Et vous savez ce que j'ai cru, moi, monsieur Maxime ? Qu'ils protestaient contre la guerre et qu'à toute force ils voulaient, tous, aller à Berlin quand même. Ce jour-là, je me suis sentie encore plus petite, et je crois aussi que l'histoire, ce n'est vraiment pas ma façon à moi de voir les choses.

- Vous racontez si bien pourtant, vous vous exprimez...

- Avec aisance et correction, c'est ce que disait aussi l'instituteur, mais c'est dans ma nature, ça, et je l'ai toujours eu, et l'expression et l'orthographe. Je ne faisais jamais de fautes, à l'école, même si je ne savais pas pourquoi, et même des mots que je ne connaissais pas, je les comprenais toujours et je les employais sans jamais me tromper. C'est comme cette voix, monsieur Maxime, c'est une chose qu'elles ont toutes, les femmes de la famille, et moi, je le tiens de maman. Heureusement d'ailleurs que j'ai eu au moins ça, et que ça y était déjà, dans ma tête, heureusement, sinon, monsieur Maxime, ça n'aurait jamais pu y entrer.

- Cette voix, mais vous n'avez jamais passé d'audition, pour la radio par exemple ?

- C'est là qu'ils m'ont placée, au tout début, à la radio, mais dès qu'il s'agit d'apprendre par coeur, je n'y suis pour rien, monsieur Maxime, je ne retiens pas.

- Vous pouviez lire...

- Vivien, vous ne m'avez pas donné de nouvelles...

- Vous lisiez, vous aussi, au cercle, non ? Vous lisiez quoi ? Sade, sans doute ? Et Bataille, ça vous dit aussi quelque chose, Bataille ?

- Bataille ?

- Bataille.

- Bataille, mais c'est une partie de cartes...

- Et Robbe-Grillet, c'est une recette de pommes de terre, c'est ça ? Et Mauriac, une onomatopée ? All right, Clarelle, all right, après tout c'est dimanche, aujourd'hui, et demain, comme disait le vieux Victor Hugo...

- Victor Hugo ? Monsieur Maxime, Victor Hugo, je connais, tout de même, comme tout le monde.

- Vous connaissez quoi, de Victor Hugo, NOTRE-DAME DE PARIS ? Plutôt L'HOMME QUI RIT, vous, peut-être ?

- Monsieur Maxime, je connais comme tout le monde, mais pas plus.

- Votre dernier livre, Clarelle, le tout dernier que vous ayez lu ?


- Comment va votre fils ?

- Clarelle, un bouquin, un seul, qui vous ait marquée ?

- Vous vous amusez, ce soir, comme vous dites, c'est dimanche, après tout, mais tant mieux, cher monsieur Maxime.

- Clarelle...

- Et puis c'est vrai, je ne vous l'avais pas dit, non seulement je ne peux pas retenir, mais je lis aussi très lentement, et même trop, trop pour la radio, et trop aussi pour la télé. Ils m'ont placée ensuite dans des maisons où le travail se fait par téléphone, enquêtes, publicité, seulement voilà, ou bien je parlais, moi, comme je parle, et le texte, aucun doute, ça devenait alors autre chose, ou bien je respectais le texte, et dans ce cas, aucun doute non plus, j'ânonnais. Pour écrire, j'ai du mal aussi, mais des lettres, je n'en ai jamais, si, une fois j'en ai reçu une, il y a longtemps, une d'Amérique, autrement je ne reçois que des papiers administratifs, moi aussi, mais je me les fais lire et de plus en plus, pour répondre, il faut tout simplement cocher des cases, plus besoin d'écrire, il y a eu enfin un progrès. Je ne suis en fait qu'une toute petite personne, et depuis vingt ans, sinon plus, dans mes supermarchés, dans l'un, dans l'autre, il y en a de plus en plus, je suis tellement heureuse, cher monsieur Maxime, à ma caisse, mais tellement. Les chiffres, ce n'est pas moi qui les lis, c'est mes doigts, et pour les suivre allez courir, mais les mots, dans un livre, ou sur le journal, encore aujourd'hui, chaque fois que je dois en lire, au fond de moi c'est chaque fois la même peur, celle que j'avais enfant, à l'école, la peur, avant même d'avoir commencé, qu'au moment où je serais arrivée enfin au bout, personne alors ne serait resté m'attendre et de nouveau je me retrouverais toute seule au monde. Oui, des livres, monsieur Maxime, je n'en ai pas lu un seul, jamais, mais j'ai vécu avec quelqu'un, quand il ne prenait pas sa guitare, il m'en lisait, des livres, le soir avant que je m'endorme, il y en a un justement qui m'avait marquée, un de ses livres à lui.

- Un roman ?

- Un roman de vampires, le titre, je ne sais plus.

- Racontez.

- Celui qui me l'a lu m'a quittée, en me promettant d'ailleurs qu'il reviendrait, mais je ne sais même plus, moi, si je l'attends toujours, c'était il y a déjà plus de neuf ans, c'est lui qui m'avait envoyé une lettre, et son roman, je ne l'ai évidemment pas relu, monsieur Maxime, et le raconter...

- Clarelle, j'écoute.

- C'est une grande ville, en Amérique, et pendant la journée elle est déserte, il n'y a plus personne, nulle part, tous les gens sont devenus vampires, et les vampires fuient la lumière, il n'y a plus qu'un homme, un seul, dans toute la ville, et la nuit les vampires assiègent sa maison, lui les repousse à coups de fusil, eux, ils lui crient de loin : viens, Ben, viens avec nous ! Dans la journée, après avoir dormi, il prend sa voiture, il va chercher dans les maisons et dans les magasins tout ce qu'il lui faut, son fusil toujours avec lui, il va de plus en plus loin, personne, nulle part, et le soir, les vampires sont là et de plus en plus nombreux : viens avec nous, Ben, viens ! Il parcourt la région entière, il rentre parfois, le soleil se couche, et nulle part et jamais personne, il se demande alors si ce n'est pas tout le pays qui est devenu vampire, à la nuit tombante ils sont là en foule : viens avec nous, Ben, viens avec nous, viens ! Et puis un matin, une femme, en pleine rue, une femme, il la ramène chez lui, il n'est plus tout seul, tous les jours ils se voient et le soir, elle rentre chez elle, elle refusait toujours de lui dire où, et toutes les nuits les autres appellent : viens, Ben, viens ! Un jour, il propose à cette femme de partir avec lui, d'aller ensemble vivre ailleurs, et c'est alors qu'elle lui dit tout, elle dit à Ben qu'il n'y a plus dans le monde entier que des vampires, que déjà quelques-uns sont arrivés, comme elle, à s'adapter à la lumière, et que tous bientôt vivront normalement, le jour comme la nuit, comme elle vit normalement elle-même avec son mari, son mari qu'elle n'aime plus, qu'en fait elle n'a jamais aimé, elle dit à Ben que si elle et lui se sont rencontrés, c'est que tous avaient décidé qu'une femme entrerait chez lui pour pouvoir, la nuit, leur ouvrir la porte, et cette femme, elle avait demandé que ce soit elle, elle dit à Ben qu'elle ne veut pas le voir devenir comme eux, que chaque jour, au retour, elle leur répondait que c'était lui qui l'avait renvoyée, avant la nuit, mais aujourd'hui, si une fois de plus elle ne parvient pas à rester, demain ils essaieront avec une autre, et pour finir elle dit à Ben qu'ou bien lui, ce soir, il la tuait d'une balle en plein coeur, ou bien elle irait leur ouvrir, mais elle a sur elle, depuis leur premier rendez-vous, les pastilles de poison. Ben comprend tout, comme le diplodocus, autrefois, comme le dinosaure, il est le dernier survivant d'une race disparue, une dernière fois ils font l'amour, les vampires entrent, il prend son poison en disant : je suis une légende. Mais le voilà, monsieur Maxime, JE SUIS UNE LEGENDE, le voilà, le titre.

- Il y a eu un film, d'après ce roman, lequel, j'ai oublié, c'en est un autre, en fait, ce qu'elle me rappelle, cette histoire, un autre film américain, LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, vous ne l'avez pas vu ? Un immense cimetière, un couple attaqué par une créature de cauchemar, la fille arrivera, juste à temps, à remonter dans sa voiture, à s'introduire à l'intérieur d'une villa perdue, où plusieurs personnes déjà ont trouvé refuge, et les morts-vivants vont les assiéger toute la nuit, les morts-vivants sont des morts qui revivent et qui se nourrissent de chair humaine. Il se passe beaucoup de choses, à l'intérieur de la villa, on voit entre autres un enfant mourir, puis se relever alors, devenu mort-vivant, lui aussi, on le voit qui tue à coups de hache sa propre mère et la dévore. Il y a surtout un coup de feu, à la fin, un seul, mais un coup de feu qui claque, et sec, en plein dans le mille de l'Amérique profonde.

- Qui est-ce qui est tué ?

- Un nègre, un black, dans la villa, un jeune black, toute la nuit, qui s'est battu, qui a aidé les autres, qui a donné tout ce qu'il pouvait, comme Adolphe à Auschwitz, si tous ont tenu, c'est grâce à lui, et pour finir ils le tueront. Dehors, des tireurs d'élite, à la fin de la nuit, avaient été postés autour de la villa, tous des costauds, tous des tranquilles, la bonne conscience en casquette et baskets, les mêmes good guys qui sont toute l'Amérique, toute la vraie, oui, de New York à Los Angeles comme de Houston à Chicago, tous, carabine au poing, qui attendent de loin, autour de la villa, qu'ils puissent voir enfin leurs silhouettes, à ces foutus damnés, le nègre apparaît, là-bas, dans la fenêtre, et le tireur ajuste, une balle, une seule, entre les yeux, c'en était un, en effet, pour tous, un damné, vu que c'était un nègre.

- Et si Adolphe avait été un nègre, ils l'auraient pris pour un SS ? Mais vous me faites peur, monsieur Maxime, l'Amérique est aussi un pays raciste ?

- Raciste comme la mer est bleue, et comme la mer, grande ouverte aussi à tous les navires.

- Jérôme, celui qui m'a lu le roman, il n'y avait que l'Amérique, pour lui, l'Amérique et rien d'autre, avec sa guitare un jour il l'a eu, l'argent de son avion, il ne voulait pas que je parte avec lui, mais de toute façon m'en aller parler une langue étrangère, même si je le pouvais, jamais je ne le ferais, ma langue à moi, mais c'est comme mon supermarché, mon cher monsieur Maxime, je suis tellement heureuse, moi, dans ma langue.

- JE SUIS UNE LEGENDE, Clarelle, ça vous a marquée, et pourquoi ?

- A cause de ce que ça dit, monsieur Maxime, à cause de cette humanité qu'il pourrait y avoir, sur terre, après une catastrophe. On dit toujours qu'après un conflit atomique, ou chimique, ou bactériologique, ou tout ce que vous voudrez de scientifique, on dit que non seulement il n'y aurait presque pas de survivants, mais que chez ceux-là, la vie elle-même serait tellement atteinte, et tellement sans défense, on dit que leur cauchemar, à ceux-là, ne durerait guère, on dit que ce serait sur terre alors la fin de l'humanité. Cher monsieur Maxime, la vie, eh bien moi, je crois qu'alors elle sera la plus forte une fois de plus, la vie, et l'humanité, aussi atteinte, aussi malade alors qu'elle puisse être, je crois qu'une fois de plus elle s'adaptera, la maladie elle-même deviendra la nouvelle santé, tout comme dans le roman, la nouvelle existence normale, et si par miracle il restait quelque part un survivant indemne, un homme d'avant, quelqu'un comme nous, eh bien la légende, ce serait lui, tout comme dans le roman, lui condamné à disparaître. Il n'y aura plus qu'elle, monsieur Maxime, après la catastrophe, que cette humanité nouvelle, que ces vivants nouveaux, même s'ils n'ont rien à voir avec ceux qui vivaient sur terre avant eux, même s'ils sont couverts de boutons, même s'ils ressemblent plus à des groseilliers qu'à des hommes, ou qui sait, peut-être à des saules, avec des bouts de peau tout partout qui pendent.

- Et si déjà, Clarelle, et si déjà l'humanité actuelle, elle aussi, si déjà elle était d'après, elle aussi, d'après une catastrophe, une très ancienne, une oubliée au fond des temps, si déjà depuis elle était malade, cette humanité, si la maladie était déjà là, depuis toujours, dans tout et tous, la maladie, et qui n'a rien à faire qu'attendre son heure, on vit, on va, on se croit la santé même, et d'un coup qu'est-ce qui se passe, une chose toute conne, on l'avait faite mille fois sans que jamais rien ne se soit passé, on la fait une mille et unième et déclic, circuit rétabli, tout ce qui était dessous qui d'un coup remonte et qui sort, toute la saleté, la grande, la petite, un déclic et fini, Clarelle, un déclic, un simple déclic...

- Monsieur Maxime...

- C'est comme ce soir, Clarelle, ce que je voulais, ce soir, c'est dimanche, en effet, c'était simplement parler avec vous, parler de tout et de rien, comme on a fait, d'un roman, d'un film, rien en principe d'important, de significatif, et d'un coup JE SUIS UNE LEGENDE, et d'un coup c'est la maladie, et d'un coup déclic, tout était là qui attendait, vous le voyez, Clarelle, vous le voyez, ce soir, ce que parler de rien, ça peut signifier...

- Encore une fois, monsieur Maxime, vous voulez vivre et vous voulez en plus que ça signifie quelque chose, excusez-moi, mais vraiment vous en voulez trop.

- Ce diabète, Clarelle, le déclic, c'est moi, le déclic...

- De quoi parlez-vous ?

- Deux générations sans qu'il y ait rien eu, et cette nuit-là, la nuit du chien, le circuit a été rétabli, par qui, par moi, je croyais l'avoir tué, mon Vivien, cette nuit-là, je ne l'avais pas tué, mais aujourd'hui, Clarelle, aujourd'hui je sais, le déclic, j'ai été cette nuit-là le déclic...

- Monsieur Maxime, excusez-moi encore, autant savoir, vous n'auriez pas bu quand même, en silence ?

- En parler, Clarelle, à quelqu'un qui n'en a jamais eu, une dépression, une vraie, une au fond, sans la moindre échelle de secours, Clarelle, en parler, de cette dépression, vous dire quoi, bref, ce que j'ai été, vous dire un mort-vivant, mais pas assez mort, pas assez vivant, vous dire un fantôme, un fantôme qui va, le monde tout autour, le monde et toute sa multitude de choses, et toutes terribles, à force de se taire, toutes, quel rapport on pourrait encore avoir avec elles, on est si faible, on est si calme, extérieurement, et c'est le contraire, à l'intérieur, le bouillonnement, la peur pour rien, on est comme une machine qui va toute seule, une machine avec la panique dedans, la panique totale, la panique partout, sur les routes, au début, sur les routes, il y avait encore pas mal de routes avec des arbres, à cette époque-là, foncer droit sur eux, sur eux me fracasser, c'était mon obsession, mais les mains n'obéissaient pas, le corps voulait vivre, lui, la machine continuait sans moi, et la panique, à chaque montée, à chaque fois que là, devant moi, la route se redressait, c'était la panique à chaque fois, j'étais sûr qu'arrivé en haut de cette route, il n'y avait plus rien, de l'autre côté, plus rien, derrière cet horizon, j'allais basculer à pic, tout était fini, je voyais la voiture monter, se rapprocher, mais rien, en effet, rien que la route qui redescendait, tout recommençait, tout jusqu'à la nuit, jusqu'au monde enfin disparu, c'était la panique alors toute à moi, la panique toute pure, les yeux dans les phares, et des kilomètres et des kilomètres, à la première aube je rentrais, je regardais Vivien dormir, il avait quoi, un an et demi, mais à la naissance il était déjà aussi beau, j'avais fait ce gosse, et pourquoi, pour qu'il me haïsse, plus tard, quand lui aussi, il se retrouverait complètement perdu dans un monde fait pour qui, jamais je n'aurais dû, jamais, je m'écroulais une heure ou deux, à peine réveillé que j'étais dehors, la rue était vide, au matin, la rue immense, à perte de vue, et j'étais un temps comme paralysé, incapable d'un pas, d'un geste, autour de moi tout était là, je reconnaissais tout et ne reconnaissais rien, tout avait l'air faux, le monde était comme un décor, dans une matière toute dure, toute froide, alors je tournais le dos et je fuyais, je fuyais, mais la pire panique, à cette époque-là, c'est quand sous mes pas c'était creux, la terre toute entière était une couche mince, en dessous rien, que le gouffre, et j'allais, de plus en plus vite ou bien au contraire pas à pas, les yeux levés sur les gens, sur les murs, pourquoi rien ni personne ne se mettait à hurler, pourquoi, d'être suspendu comme ça au-dessus de rien, pourquoi le monde n'était pas lui-même devenu fou, cette surface, elle allait craquer, un pas de plus et j'allais passer à travers, j'allais tomber, tomber sans fin, me perdre au fond de l'abîme... I can't anymore, Clarelle, I need a Glen, please, a Glen...

- Whisky, mais oui, monsieur Maxime, mais prenez-le, votre whisky, j'en étais sûre et j'avais préparé mon café, de mon côté, je n'ai plus qu'à le mettre en marche, et ça y est, c'est parti.

- Merguet, le docteur Merguet, analyste et médecin, il était les deux, Léonie avait pris rendez-vous, physiquement je n'avais plus que la peau et les os, je buvais, je buvais et je ne mangeais plus, et psychiquement, j'étais dans un tel état, psychiquement, que pas question, m'a dit Merguet, pas question pour l'instant d'analyse, il m'a bourré alors de pharmacie, et rien, la panique était là toujours, rien que des idées, connes c'est peu dire, des idées, Clarelle, du caca-pipi à s'arracher le crâne, et j'ai essayé, plusieurs fois, de retourner aux réunions, je les regardais tous, je les écoutais en me disant quoi, que c'était des étrons, des étrons géants qui parlaient, et je me sauvais avant de crier, honte, mais j'avais si honte, des tas de choses me revenaient, des histoires avec des tas de gens, les uns que j'avais très bien connus, les autres à peine, tout ce que j'avais pu faire avec eux me semblait des actions monstrueuses, et j'ai écrit comme ça mais combien de lettres, sans les finir, ou sans les envoyer, pour dire pardon, pour montrer que c'était moi, moi qui n'étais rien, j'inventais même du mal de moi, et du mal qui venait d'où, un jour où j'allais chez Merguet, il faisait très froid, j'entre, il me sourit, debout devant moi, au même instant je le vois se transformer, ce n'était plus lui, c'était ma mère que j'avais là, debout, ma mère en personne, et je me suis effondré, le corps entier secoué de sanglots, le docteur m'a fait une piqûre, il m'a dit que non, je n'étais pas fou, mais après, c'était sans arrêt, je ne pouvais plus regarder les gens, face à moi, si je restais, même à peine, les yeux sur eux, les visages aussitôt se déformaient, devenaient horribles, avec ce regard là-dedans qui me fixait, qui m'épouvantait...

- A votre santé, cher monsieur Maxime...

- Et j'en voyais partout, des visages, dans tout, j'avais beau me dire que rien, que ce n'était que des lignes, des taches, des couleurs, mais dans toutes, il y avait quelqu'un dans toutes qui me regardait, je fermais les yeux, je marchais, je me cognais dans n'importe quoi, dans n'importe qui, ma tête, à dix mille tours-minute, elle tournait, ma tête en délire, à peine pensée, une chose me renvoyait à une autre et celle-là à une autre, à une autre, une autre et c'était sans fond, où est la vérité, ax2 + bx + c = 0, c'est tout ce que j'ai eu comme réponse, quand j'ai posé la question à Merguet, et tout expliquer, tout interpréter, je n'en finissais pas, je comprenais trop pour comprendre rien, je ne pouvais même plus lire, les mots, les moindres mots, même ceux que j'avais moi-même écrits, ce qu'ils disaient, je n'arrivais même plus à l'imaginer, ce monde, il avait pourtant toujours été le mien, travailler encore, et si c'était fini, je me suis dit un jour, fini pour jamais, travailler, j'ai couru jusqu'à mon bureau, ce matin-là, j'ouvre la porte et j'arrête pile, pétrifié sur place, pétrifié d'effroi, celui que j'avais devant moi, sur cette chaise, à cette table, en train tout tranquillement de travailler, c'était moi, moi que je voyais, j'ai hurlé, je me suis retrouvé dehors, j'ai dû revenir, j'étais en slip et maillot de corps et les pieds nus, il y avait un vent glacial et les gens devant moi s'écartaient, m'habiller, me chausser, c'était un tel cauchemar, je suis retourné à mon bureau, la porte était ouverte, j'ai regardé, j'étais toujours là, moi, sous mes yeux, moi, tout à mon travail...

- Vous êtes resté sobre, c'est vrai, pendant tout un temps, vous pouvez boire encore un peu... Ah si vous pouviez sentir cet arôme...

- Devenir fou alors, oui, je n'étais plus que ça, que la terreur de devenir fou, Merguet m'a rassuré encore, et tant que je l'avais, cette peur d'être fou, c'était la preuve, il n'y en a pas d'autre, m'a-t-il dit, que je ne l'étais pas, il m'a encore donné de la pharmacie, il n'en restait pas moins que si je devenais fou, comment le savoir à temps, s'en apercevoir grâce à quoi, ce qui me hantait, c'était ça, rien d'autre, et j'ai demandé à Léonie, elle travaillait toute la journée et le soir elle reprenait Vivien, et c'était le soir toujours que j'avais le plus peur, je lui ai demandé, à ces moments-là, si je pouvais parler à haute voix, à haute voix tout dire, tout ce qui pourrait me passer par la tête, qu'elle sache, elle, si j'étais près de devenir fou, qu'elle fasse tout de suite alors ce qui serait à faire, elle n'a pas voulu, mais quand même, quand j'avais le cerveau trop perdu, et quand Vivien dormait, il était dans la chambre à côté, je parlais tout haut, sans me retenir et sans m'interrompre, elle ne disait rien, mais je l'ai su, plus tard, elle est allée voir plusieurs fois Merguet, tellement je lui sortais des trucs impossibles, du touillis puant de la toute première enfance, des insanités, pour parler comme elle, et c'est une de ces nuits, je n'en pouvais plus, c'est cette nuit-là...

- C'est toujours mon café, mais le vôtre, on va refaire l'essai la prochaine fois, cher monsieur Maxime, c'est juré...

- Je débitais déjà depuis un moment, le cloaque habituel, Léonie commençait à s'endormir, sa bouche s'entrouvrait, je me suis rapproché, j'ai mis ma main sur son épaule et je lui ai dit, ce que je lui ai dit est si sublime, oui, je pourrais mentir, mais pas à vous, Clarelle, et je lui ai dit qu'elle ne devait pas m'en vouloir, si aujourd'hui j'avais fait à côté, la prochaine fois, c'était promis, je ferais dans le pot, d'un bloc alors elle s'est retournée, elle a crié, en même temps qu'elle Vivien dans sa chambre a poussé un cri, elle criait : assez, j'en ai assez, Vivien pleurait, Léonie est allée auprès de lui, je me suis habillé et dans ma tête il n'y avait plus que ma voix qui répétait : j'ai tué mon fils, je l'ai touchée, elle, pour l'atteindre, lui, je l'ai tué à travers sa mère, et c'était en moi la stupeur, énorme, inhumaine, et c'était également la joie, une joie incroyable, inhumaine, elle aussi, je me suis précipité dehors, dans la nuit froide, et jusqu'au bout, jusqu'au terme, j'ai marché, jusqu'au chien...

- Aucun doute, là, vous buvez trop, vous me direz que moi, de mon côté, je viens de déguster mes premières gorgées...

- J'ai tué mon fils, j'ai tué mon fils, c'était sans arrêt, dans ma tête, sans arrêt, je marchais, et joie aussi bien que stupeur, tout avait cessé, je marchais, L'ENQUETE DE L'INSPECTEUR MORGAN, ce titre aussi d'un film que j'avais adoré, c'est sans arrêt qu'il me revenait, MORGAN, parfois même simplement MERGUET, je marchais, les gens, les lumières, je voyais sans voir, une rue, j'ai tué mon fils, une autre, j'ai tué mon fils, une autre encore, une autre, et soudain Notre-Dame, la cathédrale, j'étais en plein milieu de la place, il y avait un ciel sombre et les tours étaient droites sur les nuages, j'ai crié à Dieu : ressuscite mon fils et je me ferai prêtre, et j'ai attendu, les yeux là-haut, les nuages passaient d'une lenteur, j'ai attendu longtemps, je suis reparti alors désespéré, sûr que c'était fini, que j'avais tué mon fils et qu'il était mort, mort, le monde était vide et j'ai marché, marché, marché, je suis entré dans un bistrot, il y avait encore les Halles, les gens sans arrêt me regardaient de côté, j'avais tué mon fils, ils enquêtaient tous, ils étaient tous Merguet, tous Morgan, je me suis sauvé sans boire et j'ai marché, marché, la nuit diminuait, j'ai tué mon fils, je chancelais, je m'écroulais à genoux, j'ai tué mon fils, je me relevais, je ne tenais plus debout, j'ai tué mon fils, j'ai tué mon fils, je me traînais à quatre pattes, et c'est alors que je l'ai vu, dans la grisaille du petit jour, la rue était déserte, il venait droit sur le trottoir, c'était un grand chien genre danois, le poil tout gris et tout uni, les oreilles noires, il venait d'un pas ferme et silencieux, dans l'ombre il approchait, c'était un chien à face humaine, arrivé devant moi il a obliqué vers ma droite, il a contourné le lampadaire éteint que je venais de dépasser sans même le voir, je l'ai regardé qui faisait son demi-cercle, et toujours en silence, haut sur ses grandes pattes, l'allure décidée, et sa face humaine impassible dans l'ombre, après le lampadaire il a continué droit sur son trottoir, le dos très long et maigre, il s'était à peine éloigné que d'un coup plus rien, tout de nouveau était désert, j'ai cherché des yeux, dans le gris uni du petit jour, le chien à face humaine avait silencieusement disparu, disparu sur place, et tout pour moi est devenu clair, c'était encore une hallucination, mais tout dans ma tête était resté calme, et j'ai su alors, j'ai su que ce chien, je l'avais projeté hors de moi, au moment juste où je me traînais à quatre pattes, où j'allais devenir chien moi-même, je l'avais fait venir pour qu'il m'annonce, lui et lui seul, que tout était fini, que tout ce qui devait se passer cette nuit s'était effectivement passé, qu'elle était arrivée à son terme, cette nuit terrible, et qu'enfin je pouvais rentrer, le ciel avait blanchi, et d'un pas assuré je suis rentré, Vivien n'était pas mort...

- Monsieur Maxime, après tout ce que déjà vous avez bu... Mais cette dépression, vous en êtes sorti...

- Par le fond, breakdown, d'un coup par la trappe, hôpital psychiatrique, service de Merguet, cure de sommeil, trois semaines, et crise d'après-cure, s'il vous plaît, l'épouvante alors, je croyais que tout avait échoué, que tout recommençait, trois jours après c'était passé, mais simplement, me prendre en analyse, il m'avait soigné autrement, Merguet ne le pouvait plus, cinq ans, c'est ce qu'alors il m'a dit, cinq ans minimum avant que tout s'efface...

- Et tout s'est effacé ?

- Et tout est toujours là, toujours là le monde au petit jour, toujours là le chien, le grand chien gris à face humaine, toujours là qui fait son demi-cercle autour du lampadaire et disparaît, toujours là toute cette nuit, seize ans encore, il a fallu seize ans, mais c'est moi, aujourd'hui je sais, quand l'enfant a crié, cette nuit-là, c'est moi qui l'ai rétabli, le circuit de la maladie, oui, c'est moi, cette nuit-là, le déclic...


- Excusez-moi, monsieur Maxime, mais tout de même...

- Absurde, ridicule, puéril, mais cent fois, je me suis dit ça cent fois, Clarelle, avouer tout ce que je vous ai avoué, jamais je n'aurais osé, jamais, même le dixième, à quelqu'un d'autre...


- Merci, monsieur Maxime, au fond c'est de votre part...

- J'ai parlé, c'est tout, ça ne change rien et ça n'a rien en plus de musical, mais c'était à mon tour, de parler, non ?...


- Arrêtez de boire, monsieur Maxime, vous allez me faire regretter mon café.

- Clarelle, avec Jérôme, ce Jérôme qui lisait, combien de temps ?

- Combien de temps j'ai vécu avec Jérôme ? Cinq ans, monsieur Maxime, dont un pour lui de service militaire, et c'est d'ailleurs à ce moment-là qu'il a découvert l'Amérique, il n'arrêtait pas de lire.

- En Amérique, il est où, à San Francisco ?

- Où il est, cher monsieur Maxime, je vous le dirai quand il sera revenu, s'il revient un jour.

- Parti pourquoi ?

- Ce qui finalement l'a décidé, c'est une histoire de politique, celle-là, une histoire encore incroyable, et vous allez encore avoir des doutes, monsieur Maxime, mais j'étais là, avec Jérôme, à l'enterrement de son père, et tout le village pleurait et racontait. La mère de Jérôme était morte, il avait deux ans, son père ne s'était pas remarié, c'était lui le maire du village, depuis des dizaines d'années, un gros village en pleine Sologne, ou Saintonge, le nom, je ne sais plus non plus, et dans toutes les élections, grandes et petites, depuis des dizaines d'années, il y avait toujours une voix contre, une seule, une, et tout le monde savait, bien sûr, qui était cette voix, depuis des dizaines d'années le père de Jérôme en tombait à chaque fois malade, il votait toujours pour, lui, pour toujours les mêmes, il rêvait de voir son village entier voter fidèlement comme lui. Et puis un beau jour, non seulement la voix contre meurt, mais quelques heures après meurt également le Président de la République, et monsieur le maire était fou de joie, elle était arrivée enfin, l'heure qu'il attendait depuis des années, il rédige alors un bulletin spécial, sous le titre UN MODELE DE FIDELITE, dans lequel il annonçait que pour le nouveau Président, d'avance il pouvait proclamer que son village avait voté, monsieur Maxime, avait voté à cent pour cent, et qu'il s'engageait, lui, si les résultats lui infligeaient par impossible un démenti, à premièrement démissionner de son poste de maire, à deuxièmement vendre tous ses biens au profit de la commune, il allait chez Pierre ou chez Paul leur faire leur comptabilité, mais il avait sa ferme à lui, il faisait de l'élevage, il avait aussi des abeilles. Et le vote a eu lieu, et résultat, il y avait encore une voix contre, et pourtant l'autre était bien mort. Le père de Jérôme était un vieux monsieur de la vieille école, il n'y avait que l'honneur qui comptait pour lui, il a vendu et s'est retrouvé presque ruiné, et surtout, à ses propres yeux, il s'était définitivement déconsidéré. Qui avait voté contre ? On a commencé dans le village à faire une enquête, et le père de Jérôme aussi, et lui-même a dû finalement se rendre à l'évidence, la fameuse voix, c'était la sienne, il avait voté contre par erreur. Tout le monde savait toute l'histoire qui était derrière et tout le monde s'attendait au pire, on l'a découvert un matin, dans son bureau à la mairie, écroulé par terre avec sa chaise, et son fusil de chasse encore dans les mains, il s'était tué.

- Clarelle, un vrai village, un vieux village...


- La mort de son père, pour Jérôme, c'était une preuve de plus, et même de trop, que vivre n'était possible aujourd'hui qu'en Amérique, il m'a dit pourquoi tellement de fois ! Le Nouveau Monde, ça veut dire une seule chose, un monde qui n'avait pas été, avant, un monde de maîtres, un monde qui n'avait pas connu les différences entre les hommes, ceux d'en haut, ceux d'en bas, un monde, en somme, où tout le monde a toujours en principe été pareil, où même une star, même un grand homme, c'est quelqu'un que n'importe qui, disait Jérôme, est en droit également de devenir. L'Ancien Monde, lui, il avait été, avant et très longtemps, un monde de rois, d'empereurs, de dieux sur terre, et les habitudes sont tellement profondes, un grand homme, ça reste toujours, ici, quelqu'un au-dessus de tout, quelqu'un au-dessus de tous, Jérôme disait qu'un Hitler, un Staline, et même le moindre Président qu'on appelle toujours Chef d'Etat, ça ne pouvait exister que dans l'Ancien Monde, et la mort de son père aussi, cette mort simplement par fidélité, ça ne pouvait exister qu'ici, jamais là-bas, en Amérique.

- Mon village à moi, il y avait une ferme, à côté de chez nous, poules, lapins, cochons, tous les animaux, mon enfance là, dans cette ferme, à travailler, après l'école ou bien le jeudi, aider, comme on disait, aider aux champs, aider aux vaches, aider à tout ce qui signifiait travail, on apprenait tout, une chose après l'autre, atteler les chevaux, changer la litière, ensuite les conduire, des chevaux énormes, ils avaient le poitrail plein de taons, l'été, à la moisson, leurs muscles sans arrêt tressaillaient, sans arrêt les taons leur suçaient le sang, claque sur claque on les écrasait par paquets, ce qui faisait de la bouillie toute rouge, on courait aussi après les mulots, pour les empaler sur les fourches, et dans un sens puis dans l'autre du champ les ailes de la moissonneuse tournaient, les gerbes glissaient du tablier, les mettre en tas, les passer à celui qui faisait la voiture, et faire une voiture, la faire bien, qu'elle n'aille pas s'effondrer en route, pas simple, les lits de gerbes, il fallait les commencer larges, mais sans trop déborder, les monter droit, et sans rien qui sorte, mais ce qui tenait tout, c'était la couche au centre, lit après lit, la couche de gerbes en long, en sens contraire des autres, et bien piétiner pour tasser, la voiture une fois terminée, on mettait la corde, on la jetait par-dessus, on l'enroulait autour du treuil, à l'arrière, au bas de la ridelle, et le treuil en bois, on le tournait avec deux bâtons qu'on passait dans les trous, on laissait un bâton fiché dedans pour caler, et hue, on revenait, c'est fini, tout ça...

- Monsieur Maxime, est-ce qu'on le donne encore, LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, j'irais bien le voir, un soir...

- La batteuse, on battait à l'automne, et même plus tard, le premier travail, sur le toit de la machine, l'une après l'autre les gerbes arrivaient, le premier travail pour un gosse, c'était de couper les ficelles, devant celui qui engrenait, les couper juste derrière le noeud, les rassembler au creux de la main, les noeuds comme les fleurs d'un bouquet, l'une après l'autre, un deuxième travail, c'était d'être aux sacs, en bas, là où le blé coulait, à peine un sac rempli, l'enlever, placer un vide, et le sac plein, le ficeler, on referme la gueule pli par pli, on fixe d'une main la ficelle par un bout, que le bout dépasse, on fait les tours qu'il faut en serrant fort, tout ça dans le vacarme et dans la poussière, ça aussi, fini...

- LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, excusez-moi, vous l'avez vu, mais on peut voir un autre film, celui que vous voudrez, cher monsieur Maxime...

- Et fini aussi, la charrue, et labourer, ça, c'était le grand art, mais pas question de prendre une charrue avant d'être assez fort, assez lourd, pas question avant de faire le poids, j'ai commencé, j'avais treize ans, on est parti la même année, oui, labourer, maintenir le soc profond, maintenir la ligne droite, avec les mancherons qui vous secouent les bras, les chevaux qui vont et ne s'arrêtent pas, la terre s'ouvrait et se couchait, toute fraîche et toute brune et craquelée, et pour marcher, rien d'un trottoir, maintenir jusqu'au bout, jusqu'à culbuter alors la charrue...

- Cher monsieur Maxime, aujourd'hui dimanche on aurait pu, mais le premier jour où vous pourrez, moi, je suis libre...

- Le fils était de mon âge, on avait nos jeux, dans l'étable... tâter couilles du taureau, mais gare au coup de patte... batailles de lait, le soir, batailles, avant la traite, on prenait vaches couchées, elles se levaient, on changeait... chacun sa vache, chacun son pis, gonflé à bloc... les trayons, mouvement de main arrière avant, envelopper pousser tirer, fini aussi... giclait travers l'étable... bombardement coups de jets, jets tout blancs courbes tièdes, un jet de lait pleine figure un point... riait fous... sortait trempés... empesés poisseux...

- Cher monsieur Maxime...

- Traînées blanches...



Extrait ERREUR HUMAINE © Maurice Regnaut


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