- Max... Un répondeur, je raccroche... Il n'est pas là, pas revenu encore, oh ce que c'est long d'attendre... Et toutes ces choses pourtant qu'il faut absolument que je lui dise, alors tu attendras, pour ça aussi... Attends donc, après tout, pourquoi pas, des choses comme ça, les dire est tellement difficile... Et lui en dire déjà un mot, au répondeur, ça, je n'y peux rien, parler à quelqu'un comme s'il était là, autant parler toute seule... Ce que tu es sotte, ma fille, mais sotte, il n'est pas là, c'est une chance, au contraire, tu pourras tout dire, un répondeur, ça ne répond pas, j'aurai moins honte, et j'aurai aussi tout mon temps à moi, tu appelles, ma fille, et vite... Voilà... Votre numéro, Maxime, le même que le mien, mis à part le 0 final... Laisser mon message au signal sonore... Et ça y est, ce signal, je l'ai entendu... Mais enfin vas-y... Oui, c'est Clarelle, bonsoir, monsieur Maxime... Excusez-moi, parler au répondeur, je ne l'avais encore jamais fait, bonsoir, Maxime, et comment allez-vous, et Vivien ?... Hier j'ai attendu, rien, aujourd'hui rien non plus, vous n'oubliez surtout pas que vous pouvez m'appeler à l'heure que vous voulez, je suis tellement inquiète, Maxime, et tellement... Maxime, vous êtes toujours là ?... Tu es de plus en plus sotte, ma fille, excusez-moi, Maxime, il y a eu un bruit, comme un deuxième signal, j'ai cru que c'était coupé... J'ai aussi une chose à vous dire, Maxime, une chose très importante, et même plus que ça, quand je pense à ce que vous m'avez dit encore, avant-hier soir, que je suis la seule personne à laquelle vous croyez, que ma voix, c'est la voix de la vérité même, eh bien je vous ai menti, Maxime, c'est le premier de ma vie et c'est à vous que je l'aurai fait, ce mensonge, à vous, cher Maxime... Aujourd'hui je ne peux plus, tout est devenu aussi tellement trop grave, pour vous, je ne peux plus me taire, et je n'aurais jamais dû... Jérôme, il s'agit de lui, Jérôme, il ne reviendra pas, il n'est pas à Venice, je ne sais pas où il est, je n'ai pas de nouvelles de lui, tout ce que je vous ai dit, à propos de Jérôme, tout est faux, tout était mensonge... Ecoutez, Maxime, c'est Solange, il y a eu un moment, entre vous et moi, où déjà je m'étais attachée à vous, mais je ne savais pas, si je devais continuer ou non, si vous aviez ou non quelque chose pour moi, et comment savoir ça, vous le demander, mais pour moi vous étiez encore à ce moment-là monsieur Maxime, et même plus que jamais, je me sentais plus que jamais n'être qu'une toute petite personne, alors j'ai parlé à Solange et c'est elle qui a tout combiné, plusieurs fois elle m'avait expliqué comment elle avait fait, elle, pour avoir son mari, c'est elle, Solange, elle, pour Jérôme, qui a trouvé la carte de Venice, évidemment c'est elle qui l'a écrite, c'est elle aussi, d'après son plan, qui en aurait écrit une autre, dans quelque temps, où Jérôme m'aurait dit qu'en fin de compte il restait en Amérique, et tout finalement se serait arrangé tout seul, vous n'auriez rien deviné, et rien que ça, je n'aurais pas supporté, Maxime, j'ai eu tellement de mal déjà à vous annoncer la fausse carte et le faux retour de Jérôme, mentir, ce n'était pas moi, je remettais chaque fois, je n'y arrivais pas, je l'ai fait sur un coup de tête, à propos de votre dernier papier, vous m'en excuserez, Maxime, mais je n'en pouvais plus, jamais je n'aurais pu autrement... C'est vrai que ç'a été efficace, il faut dire, et que vous êtes devenu d'un seul coup le jaloux modèle, comme dit cette Solange, et moi tellement heureuse, très cher Maxime, mais c'est vrai aussi que j'étais en même temps honteuse et tellement, j'ai décidé de vous avouer tout, Solange ne voulait pas, vous ne me pardonneriez jamais, selon elle, d'avoir joué comme ça avec vous, et qui plus est, avec le concours d'une tierce personne, et j'ai hésité, mais pas en fait pour cette raison, je me disais que tout ça pouvait même plutôt vous faire rire, non, si j'avais peur, c'était d'une seule chose, en vous avouant tout, et j'en ai toujours peur, Maxime, c'est que tout soit fini, pour vous, que vous ne puissiez plus me croire, plus jamais, moi non plus, votre confiance en moi, qu'il n'en reste rien, cher Maxime, plus rien... C'est le premier de ma vie et ce sera le seul, Maxime, le seul, ce mensonge, et ce n'est pas le mien, d'ailleurs, c'est celui de Solange, inventer ça, il n'y a qu'elle, oh je voulais attendre votre retour, mais écoutez, je vais vous le raconter, vous comprendrez mieux, vous le raconter juste en deux mots, comment elle s'est mariée... Ils étaient deux, Raoul et Frédéric, ça fait trois ans et quelque de toute cette histoire, le doux Raoul vivait dans le Nord, je ne sais plus où, Frédéric à Paris, Frédéric le grand, comme l'appelle Solange, Raoul était amoureux fou de sa Solange et Solange était follement amoureuse de son Frédéric, mais Frédéric avait aussi, à cette époque, une vieille liaison avec une camarade d'enfance, et ce qu'elle fait alors, cette Solange, vous ne devinerez jamais, elle va voir Raoul, qui la pressait depuis longtemps de se marier avec lui, elle lui apprend soudain que ce n'est pas elle, que c'était sa mère qui avait des doutes, et sa mère avait une petite santé qu'il fallait ménager, des doutes sur le sérieux de ses sentiments à lui, Raoul, et Raoul, qui ferait tout, Raoul a tout de suite accepté d'écrire à Solange des lettres d'amour, des lettres que sa mère puisse lire, mais ces lettres, Solange, ce n'était pas à sa mère, c'est à Frédéric qu'elle les faisait lire, et ce que peut faire la jalousie, oh cher Maxime, il s'est jeté alors dans les bras de je ne sais combien d'autres filles, en quelques semaines il a perdu je ne sais combien de kilos, et je ne sais combien de fois il a rompu avec le monde, et pour finir, Solange un beau jour l'appelle et lui dit qu'elle avait pris sa décision, qu'elle allait prochainement se marier avec Raoul, résultat, vous l'avez deviné, moins d'un mois après, Frédéric le grand épousait la jolie Solange, et voilà, aucun doute, un triomphe, et ce n'était pas tout, six mois plus tard, Raoul est retrouvé chez lui inanimé, le pauvre avait ouvert le gaz, finalement il s'en est sorti, Solange l'a revu, tout a repris entre eux, Raoul régulièrement vient la voir à Paris, bref, comme vous diriez, Solange a vécu tout un temps comme ça, d'un lit à l'autre, un pour aimer, l'autre pour être aimée, une vie en quelque sorte dédoublée, et pourtant d'autant plus merveilleuse, paraît-il, malheureusement l'été dernier, la petite maison où Raoul travaillait a fermé, il est comme Frédéric, Raoul, informaticien, il y a eu un poste vacant, peu de temps après, dans la grande firme où Frédéric travaille, et Raoul a fait sa demande, mais Solange, sans rien dire, ne l'a pas transmise, elle ne veut absolument pas que Frédéric et Raoul puissent jamais se rencontrer, sa fille, paraît-il, est tout le portrait du doux Raoul, ce qui fait que celui-ci ne vit toujours que de son chômage, il voit Solange de moins en moins, d'une part, et c'est une informaticienne, d'autre part, qui a donc obtenu ce poste, et Frédéric a depuis peu une liaison avec elle, et Solange a du mal, cette fille a douze ou treize ans de moins qu'elle, en ce moment Solange en est à chercher la combine, la, comme vous diriez aussi, et c'est vrai, on pourrait penser que c'est la fin, cette fois, qu'elle ne pourra plus s'en tirer, toute Solange qu'elle est, mais elle s'en tirera, je n'ai jamais compris comment elle peut faire, avec ses deux hommes, et ses deux enfants, et sa mère malade, et ses cours de danse, et ses manigances... Et je vous dirais bien que tous ces micmacs, je ne pourrais jamais, mais jamais, c'est pourtant ce que j'ai fait, moi aussi, ou ce qu'on m'a fait faire, un mensonge, une sottise plutôt, ç'a été de ma part une sottise et je n'en suis pas fière, oh pardonnez-moi, cher Maxime, oui, je sais maintenant, je sais que vous tenez à moi, j'entends sans arrêt ce que vous m'avez dit, avant-hier soir, et moi, je tiens tellement à vous, Maxime, et quoi qu'il arrive, aucun doute, aucun, je suis toute prête à vous aider, toute prête à faire même un miracle, si vous me le demandez, Maxime, il fallait que je vous dise tout ça, maintenant je vous attends, cher Maxime, à demain, j'espère, avec votre Vivien, mon cher Maxime...

Extrait ERREUR HUMAINE © Maurice Regnaut


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