UNION MATRIMONIALE
LUI
Monime ?
ELLE
Entrez, Xavier, entrez, vous voulez vous défaire ?
LUI
Monime, excusez-moi, je suis un peu en retard.
ELLE
Vous avez eu beaucoup de mal à trouver ?
LUI
Figurez-vous que j'étais en chemin, et tout d'un coup, je ne sais pas ce qui m'a pris, je me suis dit : tu te trompes de jour, ton rendez-vous, ça n'était pas pour aujourd'hui, c'était pour quand, je ne savais plus, mais plus du tout, alors comme je n'en était pas loin, je suis monté voir à l'agence.
ELLE
Aujourd'hui samedi, il n'y avait personne ?
LUI
Figurez-vous que je sonne, la porte s'ouvre, il y avait madame Huberte, elle était en communication, j'ai attendu, madame Huberte, non seulement elle m'a rassure, mais comme elle avait à sortir, c'est elle-même qui m'a déposé, au coin de votre rue.
ELLE
Madame Huberte est une femme remarquable, une femme à la fois de coeur et de tête, on comprend qu'elle ait tant de réussite.
LUI
Oui, Monime, ce trou de mémoire, et ce hasard que madame Huberte soit là, on comprend qu'elle ait tant de réussite.
ELLE
Asseyez-vous, mais non, ici.
LUI
Que ce soit par une agence ou bien autrement, un mariage est toujours un mariage, un premier rendez-vous toujours un premier rendez-vous, et quel que soit l'âge, on a le droit aussi d'être un peu ému.
ELLE
Que voulez-vous prendre, Xavier, j'ai un excellent thé.
LUI
Un thé, mais c'est parfait, un thé, mais oui, un thé.
ELLE
Vous m'excuserez.
Elle sort.
LUI
Vous savez ce qu'elle disait au téléphone, madame Huberte, quand j'attendais à côté dans l'entrée, elle disait en riant qu'elle n'était pas mariée, elle, et qu'elle doutait qu'il soit jamais question qu'elle se marie.
ELLE
Vous croyez qu'une femme peut tout faire, et diriger en même temps un ménage et par exemple une agence matrimoniale ?
LUI
Mon impression, ça serait plutôt que les hommes, sexuellement parlant, la laissent indifférente.
Elle rentre.
ELLE
Voilà, je vous sers, lait, citron, nature ?
LUI
Nature.
ELLE
Sucrez-vous.
LUI
Je vous en prie.
ELLE
Quel drôle de printemps cette année, on se croirait même en plein automne, un petit gâteau ?
LUI
Merci, ça n'arrête pas de pleuvoir, c'est vrai, mais je vois que vous aimez lire.
ELLE
C'était mon mari surtout qui lisait, mon mari était instituteur, lire, il se promettait de ne plus faire que ça, pendant sa retraite, et quand il l'a prise, il y a quatre ans, il est mort subitement, arrêt du coeur, mais parlons de vous plutôt, de ce que vous faites.
LUI
Vous le savez, je suis justement dans l'assurance-vie, et la mort de votre mari m'a beaucoup touché, il allait avoir qui plus est l'âge que j'ai aujourd'hui, je sais tout par mamdame Huberte, elle m'a dit aussi que vous n'avez jamais pu avoir d'enfants.
ELLE
C'est mon mari qui ne pouvait pas, la plupart du temps il en plaisantait, je l'entends encore : le comble pour un instituteur, ne pas pouvoir avoir d'enfants, en réalité il n'a pas cessé d'en souffrir, et de plus en plus profondément, vous, vous ne vous êtes jamais marié.
LUI
Jamais, non, mais pourquoi alors ne pas avoir eu recours à l'adoption ?
ELLE
Des enfants adoptifs, mon mari disait qu'il en avait déjà, à l'école, et même trop, non, il se raisonnait, il se répétait qu'après tout c'était peut-être un crime, au fond, que de faire des enfants dans un monde comme le nôtre.
LUI
Il est vrai qu'en matière de monde, on peut difficilement faire pire.
ELLE
Un enfant de plus, pour qu'il trouve quoi, toujours la guerre...
LUI
Toujours la guerre...
ELLE
Et la misère...
LUI
Et la misère
ELLE
Et partout la désespérance...
LUI
La désespérance...
ELLE
Notre monde est un monde perdu, c'était sa conclusion, la générosité, la compréhension, la sagesse, c'est pourtant ce qu'il faudrait pour le sauver, ce qu'on a tous les jours, au contraire, c'est de plus en plus d'égoïsme...
LUI
De plus en plus d'indifférence...
ELLE
D'envie...
LUI
D'intolérance...
ELLE
La déraison...
LUI
La férocité...
ELLE
Le monde n'a plus aucun sens moral,libre, paraît-il, libre, oui, de courir à l'abîme, un petit gâteau ?
LUI
Ce qui est sûr, si vous aviez eu des enfants, c'est qu'ils auraient reçu au moins une éducation exemplaire.
ELLE
L'éducation, vous m'en rappelez tant, ce qui importe, ce n'est pas ce qu'on est, c'est la manière de l'être, c'est l'attitude qu'on a envers autrui, il faut bien en convenir, ce n'est pas si faux, prenez par exemple madame Huberte...
LUI
Madame Huberte ?
ELLE
Quand vous êtes avec elle, vous lui parlez, vous l'écoutez, vous avez comme le sentiment d'exister tout à coup vraiment, totalement, c'est aussi votre avis, vous avez comme la certitude, avec elle, et c'est capital, que tout mensonge entre elle et vous est impossible...
LUI
Madame Huberte...
ELLE
Quelle soit ce qu'on voudra, il est là, son secret, il est là tout entier, dans ce qui s'appelle simplement la confiance.
LUI
Monime...
ELLE
Encore un petit gâteau ?
LUI
Un petit gâteau, merci, non...
ELLE
Un peu de thé ?
LUI
Monime
ELLE
Qu'y a-t-il ?
LUI
Il y a que je vous ai menti, et tout à coup je n'en suis pas fier, il y a une chose que je n'avais pas dite à madame Huberte...
ELLE
Une chose grave ?
LUI
Une chose bête, j'ai été marié, enfin marié, si on peut dire, ça fait aujourd'hui vingt-sept ans ou presque, et ça n'a pas duré trois ans.
ELLE
Mais pourquoi ne l'avez-vous pas dit ?
LUI
Que fallait-il que je dise, divorcé, il y a si longtemps que je ne le suis plus, mais plus du tout, tout ça est oublié, alors quoi mettre, ex-divorcé ?
ELLE
La formulation, madame Huberte vous l'aurait trouvée.
LUI
Célibataire était le mot juste, c'est ce que je me sens, c'est ce que je me suis toujours senti célibataire, et si je vous ai menti, en fait je ne vous ai pas trompée, un petit gâteau ?
ELLE
Pour ne rien vous cacher, comme on dit, c'est tout de même une surprise.
LUI
Mais c'était plus bête qu'autre chose, et je le regrette, du fond du coeur, Monime, dites-moi que vous me pardonnez.
ELLE
Un mariage est toujours un mariage, et la manière dont vous parlez du votre...
LUI
Monime...
ELLE
On ne divorce jamais sans raisons...
LUI
Sans raisons, ça non, on les avait toutes, les raisons, ça n'était pas du tout un mariage, en fait, elle et moi, c'était le numéro on ne peut plus classique, ils se sont rencontrés, ils se sont écriés : nous sommes faits l'un pour l'autre, au bout de six mois l'évidence était là, nous n'avions rien fait pour nous entendre.
ELLE
Six mois, il me semble un petit peu léger de ne pas compter plus sur le temps, c'est tout de même lui qui fait les choses.
LUI
C'est lui aussi qui peut les rendre insupportables.
ELLE
Faire alors comme les jeunes d'aujourd'hui, se mettre ensemble un certain temps avant de se décider, c'est peut-être en effet le plus sérieus, former un couple, un vrai, n'est pas si simple.
LUI
Il n'y a même rien qui exige autant.
ELLE
Vivre ensemble, ce n'est pas être là du matin au soir l'un à côté de l'autre...
LUI
Ce n'est pas suivre à deux chacun son idée ou même sa nature...
ELLE
Il faut que l'un et l'autre aient quelque chose de vital en commun...
LUI
Il faut un accord sans tromperie et sans réserve...
ELLE
Un même idéal à maintenir vivant...
LUI
Un même désir d'atteindre un but élevé...
ELLE
Un même sens donné à la vie...
LUI
Une même résolution...
ELLE
Quelqu'un a dit, je crois que c'et ça : l'amour c'est deux êtres qui regardent dans la même direction...
LUI
Monime, écoutez, je m'exalte un peu trop peut-être, avec vous, oui, avec vous je me sens un autre homme...
ELLE
Xavier...
LUI
Monime...
ELLE
Xavier, non , Xavier, il faut que vous partiez.
LUI
Que je parte, et pourquoi ?
ELLE
Xavier, partez.
LUI
Au moment même où je ne sais pas pour vous, mais pour moi, Monime...
ELLE
Justement, Xavier, justement, je ne sais plus où j'en suis, d'un côté ce que vous dites vaut pour moi aussi, de l'autre il y a ce que vous m'aviez caché, et je n'arrive pas encore à l'oublier.
LUI
Mais je vous ai tout dit maintenant, tout.
ELLE
Et moi maintenant j'ai besoin de réfléchir.
LUI
Un peu de thé peut-être ?
ELLE
Vous savez autant que moi ce qui est en jeu entre nous, vous non plus, Xavier, vous n'aimeriez pas commettre une erreur, vous espérez même le contraire, vous aussi, et du fond du coeur, Xavier, je vous en prie.
LUI
Alors revoyons-nous très vite, demain ?
ELLE
Demain j'ai de la famille, et toute la journée.
LUI
Après-demain...
ELLE
Après-demain très bien, je quitterai mon bureau plus tôt, je vous attends chez moi à cinq heure.
ELLE
A cinq heures...
LUI
C'est dans le centre, à deux pas de l'agence, vous trouverez facilement.
ELLE
Je trouverai.
LUI
Monime, à bientôt.
LUI
Et vous êtes bien sûr l'exactitude même, entrez, Monime, entrez, mettez-vous à votre aise, aujourdh'ui, c'est vrai, quel temps merveilleux, le soleil enfin...
ELLE
Xavier, j'ai réfléchi, j'ai trouvé finalement qu'il était mieux que je vienne et que je vous parle avec franchise.
LUI
Vous n'allez quand même pas rester debout...
ELLE
Xavier, un homme comme vous mérite la vérité, et la vérité, pour reprendre cette expression, c'est que nous ne sommes pas faits l'un pour l'autre.
LUI
Monime...
ELLE
Xavier, je l'ai compris à tout ce que vous avez dit l'autre jour, votre conscience, votre exigence, bref, votre grande humanité, c'est quelque chose évidemment que j'estime et même que j'admire, mais justement, Xavier, vous êtes quelqu'un, comme on dit, de beaucoup trop bien.
LUI
Monime...
ELLE
Vous avez déjà eu dans votre jeunesse une cruelle déception, je ne me sens pas le droit de vous en causer aujourd'hui une autre, ou plutôt, si je vous en cause une petite aujourd'hui, je le fais pour vous en épargner une plus grande, voilà, Xavier, voilà, malgré tout le regret qu'on peut en avoir, et je vous laisse le soin d'en faire part à madame Huberte, il vaut mieux que nous en restions là.
LUI
Vous ne pouvez pas savoir, Monime, moi aussi j'allais vous le dire.
ELLE
Me dire quoi ?
LUI
Que le mieux, c'était de ne pas aller plus loin.
ELLE
Vous allez me le dire, et pour quelles raisons ?
LUI
Pour les mêmes, Monime, pour les mêmes.
ELLE
Autrement dit, vous me jugez donc vous-même indigne de vous ?
LUI
Notre conversation, l'autre jour, m'a fait réfléchir, moi aussi, ma conclusion, figurez-vous, c'est que vous étiez malheureusement trop bien pour moi.
ELLE
Qu'est-ce que ça veut dire ?
LUI
Que vous étiez une âme trop haute...
ELLE
Quoi, une âme trop haute, vous vous fichez de moi, et ça vous amuse.
LUI
Il y avait en vous une grandeur morale...
ELLE
Je vous en prie.
LUI
Vous avez parlé du sens de la vie...
ELLE
Mais si j'ai parlé d'un sens à la vie, c'est que vous aviez, vous, parlé d'un but élevé.
LUI
D'un but élevé, mais je n'aurais pas parlé d'un but élevé, si vous n'aviez pas, vous, parlé
d'idéal.
ELLE
J'ai parlé d'idéal, mais vous aviez parlé, vous, d'un accord sans réserve.
LUI
Mais c'est vous qui aviez parlé de quelque chose de vital en commun.
ELLE
Comment, moi, mais je sais ce que je dis, c'est vous qui aviez commencé.
LUI
Idéal, but élevé, sens de la vie, mais ça ne peut pas être moi, jamais je n'aurais tout seul parlé
de choses pareilles.
ELLE
Mais moi non plus, je vous dis que c'est vous.
LUI
C'est comme cette rengaine de tout ce qui ne va pas sur cette terre, la guerre, la misère et tutti quanti, ça fait belle lurette que je l'avais oubliée.
ELLE
Moi aussi.
LUI
Que les hommes se dévorent entre eux, moi je n'y peux rien.
ELLE
Mais moi non plus.
LUI
Et qu'ils vivent mal, pour parler franc, ça m'est absolument égal.
ELLE
Mais moi aussi.
LUI
Mon affaire à moi, c'est l'assurance-vie, et le cours du monde, je n'en suis pas responsable et
ça ne m'intéresse pas, mais pas du tout.
ELLE
Mais moi non plus.
LUI
Alors pour tout vous dire, Monime, quand l'autre jour, tout de suite il a été question de générosité, de sagesse et de je ne sais quoi, vous ne pouvez pas savoir ce que j'ai été déçu.
ELLE
Mais moi aussi, Xavier.
LUI
Se conduire comme il faut en société, être courtois envers tout le modne, c'est des choses qui vont de soi, mais avoir rendez-vous avec une femme et que ça tourne à la leçon sur les bonnes manières, je vous l'avouerai, je ne m'y attendais guère.
ELLE
Mais moi non plus, Xavier, mais moi non plus.
LUI
Ce que je me disais, c'est que vous n'étiez pas la femme qu'il me fallait, et comme vous me
plaisiez beaucoup et même plus, vous serez d'accord, il y avait de quoi désespérer, quand pour finir on s'est mis à parler d'idéal, je vous assure que je tombais de haut.
ELLE
Mais moi aussi, Xavier, mais moi aussi, un grand naïf, c'est ce que j'ai pensé de vous, et je me suis dit que malgré l'âge, comme tous les hommes, vous étiez resté au fond un enfant.
LUI
Monime...
Il éclate de rire.
ELLE
Il y a de quoi, je vous l'accorde, je n'ai jamais vu aussi grossière méprise.
LUI
Mais moi non plus, Monime, mais moi non plus.
ELLE
Au point que je me pose tout de même des questions.
LUI
Mais moi aussi, Monime, mais moi aussi.
ELLE
Se tromper pareillement, non, je ne comprends pas comment c'est possible.
LUI
Mais moi non plus.
ELLE
Peut-être au fond parce qu'une erreur de ce genre-là, d'habitude ce n'en est jamais une, aujourd'hui, les gens ont tellement de choses folles dans la tête.
LUI
Et les femmes comme les hommes, Monime, si vous saviez pour quelles raisons autrefois j'avais divorcé, vous ne devineriez jamais.
ELLE
Pour quelles raisons précises, je ne sais pas bien, elle vous trompait ?
LUI
Elle me tromper, même pas en rêve.
ELLE
Que peut faire d'autre une femme, elle buvait ?
LUI
Non, je vais vous le dire, pourquoi avec elle c'était impossible, elle était croyante...
ELLE
Grand dieu...
LUI
Il n'y en avait que pour son âme, soir et matin, semaine et dimanche, son curé savait tout, ou plutôt il ne savait rien, vu qu'ils ne se passait rien ou presque, de l'éducation, ça elle en avait, mais ce qui lui manquant totalement, c'est de l'imagination, et surtout en amour.
ELLE
Elle ne voulait même pas d'enfants ?
LUI
Elle n'arrêtait pas de prier pour en avoir un, et c'est vrai que si elle avait pu en faire un toute seule, elle aussi, c'est ce qui pour elle aurait été la meilleure solution, moi, dès que je me suis rendu compte de ce qu'elle était, avec ses sermons, pour un oui ou pour un non, j'ai fait tout
pour ne pas en avoir, d'enfants, et j'ai tenu le coup trois ans, figurez-vous, trois ans.
ELLE
Peut-être qu'un enfant aurait tout arrangé ?
LUI
Vivre avec quelqu'un qui ne pense qu'à son paradis, excusez-moi, mais c'est l'enfer.
ELLE
Ceux qui croient, ce n'est pas le pire, ceux qui croient n'aiment au fond qu'eux-mêmes, le pire, c'est ceux qui n'aiment que les autres, et mon mari était de ceux-là, il voulait le bonheur de l'humanité.
LUI
Vous ne deviez pas faire la fête tous les soirs, vous non plus.
ELLE
Ce qui le faisait souffrir, lui, c'était la souffrance des autres, leur désespoir, c'était ce qui lui le désespérait, je l'entends encore, il ne cessait de répéter une phrase de je ne sais plus qui : les hommes meurent et ne sont pas heureux.
LUI
C'est de la philosphie pour assistante sociale, les hommes meurent, ça suffit, et même amplement.
ELLE
Mais mon mari, je l'ai vu pleurer, oui, pleurer sur l'espèce humaine.
LUI
C'est normal, c'était maladif.
ELLE
Il ne voulait jamais convenir que personne ne peut rien y faire, et c'est ce qui l'a tué, à la retraite, il s'est retrouvé tout seul tout à coup face au monde tel qu'il est, nous n'avions pas d'enfants, mais heureusement peut-être, il aurait voulu les élever avec des idées.
LUI
Vouloir que le monde soit autrement, c'est vraiment quelque chose d'étrange, et c'est aussi le symptôme infaillible.
ELLE
Que ce soit difficile de vivre, et compliqué, tout le monde le sait, mais justement, même si tout pouvait l'être, autrement, comme aujourd'hui combien de gens le croient, vivre serait toujours aussi compliqué et toujours aussi difficile.
LUI
Le nombre, c'est vrai, de ceux qui attendent ils ne savent même plus quoi, c'est toute une civilisation qui est profondément malade.
ELLE
Oui, comme prise dans son désespoir d'une sorte de folie.
LUI
Ce qu'il faut, c'est faire comme si tout ça était déjà mort, et tout oublier, et s'occuper enfin de choses sérieuses, Monime, une tasse de thé?
ELLE
Xavier, je peux maintenant vous le dire, le thé, je vous en avais offert, mais je n'aime pas ça.
LUI
Mais moi non plus.
ELLE
Et j'en avais acheté une boîte exprès pour vous.
LUI
Mais moi aussi.
ELLE
Deux boîtes de thé, il faudrait les finir, Xavier, pas de gaspillage.
LUI
Monime, je n'ai pas de champagne au frais, mais je peux en mettre une bouteille tout de suite, j'en ai toujours une dizaine en réserve.
ELLE
Une dizaine ?
LUI
Figurez-vous que je ne déteste pas faire sauter le bouchon.
ELLE
Mais tout de même pas tout seul, ce qui d'ailleurs est simple à comprendre, et ça vous arrive si souvent ?
LUI
Sans compter que c'est quand même un peu cher, je n'ai plus vingt ans, Monime, et vous, ne me dites pas que n'aimez pas non le plus le champagne ?
ELLE
Moi, mais je suis comme toutes les autres, Xavier, le champagne, mais j'adore.
LUI
Et ça vous arrive si souvent ?
ELLE
Moi non plus, Xavier, je n'ai plus vingt ans, je peux même vous le dire, j'ai fait une petit mensonge, moi aussi, à propos de mon âge, et je me suis rajeunie, oui, de quatre ans.
LUI
Quatre ans, c'est un mensonge au-dessous de la vérité, vous vous en seriez donné encore huit de moins qu'on vous aurait crue.
ELLE
C'est ce qu'on m'a déjà dit, mais au fait mon mari n'avais que douze ans de plus que moi, il est vrai aussi que lui faisait plus que son âge.
LUI
Oubliez tout ça, et pour rester jeune, il y a toujours la méthode la plus agréable...
ELLE
Non, Xavier, non, il faut attendre.
LUI
Attendre quoi ?
ELLE
Mais d'avoir bu.
LUI
On peut commencer par un petit whisky.
ELLE
Vous avez un coffre...
LUI
Monime...
ELLE
Non et non, Xavier, du champagne ou rien.
LUI
Alors du champagne.
Il sort.
ELLE
Il n'est pas tard, Xavier, l'agence est encore ouverte, on peut appeler madame Huberte et lui dire que nous venons la voir, pour elle, nous allons être une réussite de plus.
LUI
Maintenant, mais rien ne presse, et j'y passerai, moi, demain ou après.
ELLE
Je tiens à l'annoncer moi-même, et pour madame Huberte, il faut que vous veniez avec moi, que ce soit une certitude.
Il rentre.
LUI
Monime...
ELLE
Mon champagne est au frais ?
LUI
Oui, deux bouteilles, Monime, ce que vous êtes pour moi...
ELLE
Un ménage de célibataires, ça au moins vous ne pouvez pas le cacher, ce qui se voit en fait, mais de la vieille poussière un petit peu partout, et du vieux désordre.
LUI
A se retrouver toujours tout seul, vous savez, on finit par ne plus avoir le coeur à grand-chose, Monime, dès le début, dès que j'ai vu cette photo...
ELLE
Si nous étions chez moi, je vous montrerais mes collections, oui, je ne vous ai pas dit, j'ai une passion, je collectionne, et vous verrez, j'ai des collections merveilleuses, timbres, bien sûr, mais beaucoup d'autres, et celle pour laquelle je suis prête à tout...
LUI
Je t'aime, Monime, je t'aime.
ELLE
Xavier, finissons de jouer et soyons clairs.
LUI
Que veux-tu dire ?
ELLE
Il paraît que pour certains messieurs, l'agence matrimoniale, c'est un peu la maison de rendez-vous, j'y vais, je me trouve une femme, une aventure plus ou moins longue avec la belle et pour finir, mille regrets, tu n'es pas mon genre, et place à la suivante...
LUI
Monime...
ELLE
Que tu sois un Don Juan d'agence matrimoniale, à bien réfléchir, Xavier, pour nous deux tout n'en est que plus simple, au fond ce que nous voulons, moi, c'est le mariage, et toi, c'est la mariée, autrement dit, et pour parler comme tu parlais, nous avons tout pour nous entendre, alors appelons madame Huberte.
LUI
Pour aller la voir, mais, Monime, ton champagne ?
ELLE
Mon champagne, il sera parfait à notre retour, mon champagne, alors on l'appelle ?
LUI
Toi, tu es si belle, si différente, et c'est même ça qui m'a impressionné, qui m'a rendu comme un enfant, c'est vrai, comme un enfant...
ELLE
On l'appelle ?
LUI
Arrête...
ELLE
Oui ?
LUI
Non...
ELLE
Non ?
LUI
Oui.