nouvelle poésie hongroise

PREFACE


1

Car tous alors seront abandonnés.

Séparés, et cieux et niches de chiens
et terres déchues de la fin du monde,
à tout jamais séparés leurs silences.
Fuyant dans l'air, une légion d'oiseaux.
Et nous verrons se lever le soleil,
muet comme une pupille démente
et comme un animal qui guette, calme.

Mais veillant dans l'exil, car que je dorme,
il ne faut pas pendant cette nuit-là,
à tous vents, comme avec toutes ses feuilles,
je vais et parle ainsi que la nuit l'arbre :
Connaissez-vous le cortège des ans,
des ans passant sur les terres plissées ?
Et ce qui fuit, comprenez-vous ses rides,
connaissez-vous ma main au dos meurtri ?
Savez-vous le nom de l'orphelinage ?
Et savez-vous, sous ses sabots fourchus,
sous ses pieds membraneux, quelle douleur
foule ici l'éternelle obscurité ?
La nuit, le froid, le trou, tournée de biais,
la tête de forçat, connaissez-vous
les mangeoires gelées, et la souffrance
du monde profond, la connaissez-vous ?

Le soleil s'est levé.
Sur l'infrarouge du ciel irrité, des arbres nains sombres.
Ainsi je pars. Face à la nuit dernière,
Un homme marche en silence. Il n'a rien,
il da que son ombre. Il n'a que sa canne.
Et que ses vêtements de prisonnier.

 

2

C'est donc pour ça que j'appris à marcher!
Pour ces pas tardifs, pour ces pas amers.

Puis ce sera le noir, la nuit de boue
sur moi deviendra pierre et les yeux clos,
je continuerai à voir ce cortège,
ces arbustes fiévreux, ces branches.
Forêt naine et torride et feuille à feuille.
Le paradis jadis était ici.
Mi-sommeil, douleur qui se renouvelle:
entendre ses arbres géants !

Revenir chez moi, faire enfin retour,
comme il a fait lui aussi dans la Bible.
Sur le sol de la cour mon ombre horrible.
Silence usé, vieux parents à demeure.
Les voilà déjà, déjà ils appellent,
déjà pleurant, embrassant, vacillant.
L'ordre ancestral me refait sien.
Pleines de vent, je m'accoude aux étoiles.

Si je pouvais enfin te parler, toi que tant j'aimais.
Année après année, sans que pourtant je me lasse de dire
ce que pleure un enfant entre les planches,
l'espoir déjà sur le point d'étouffer
que je vais venir et vais te trouver.
Dans ma gorge bat ta proximité.
Je tremble comme un animal sauvage.

Ces mots à toi, qui sont l'humain langage,
ne sont pas miens. Il y a des oiseaux
qui le c_ur déchiré à présent fuient
sous le ciel, sous le ciel en flammes. Cages
immobiles brûlant et, plantées droit
dans les champs à blanc, planches orphelines.
Je ne comprend pas, moi, l'humain langage,
ta langue à toi, je ne la parle pas.
Mots sans patrie et mes mots plus encore !
je n'ai même pas de mots.

Poids terrible
à travers les airs s'écroulant,
le corps d'une tour élève sa voix.

Tu n'es nulle part. Que le monde est vide.
Un siège, un pliant oublié dehors.
Sur les cailloux coupants mon ombre tinte.
Las je suis. Et raideur sortant de terre.

3

Dieu voit, je me tiens debout au soleil.
Sur la pierre et l'enceinte il voit mon ombre.
Il voit se tenir sans qu'elle respire
mon ombre debout dans l'étau sans air.

Je serais d'ici là ainsi que pierre ;
plis morts, dessin fait de milliers d'entailles,

pleine poignée de détritus,
ainsi la face d'ici là des créatures.

Et sur la face, au lieu des pleurs, des rides,
fossé ruisselant, ruisselant et vide.

 

(traduction Maurice Regnaut)

 

NOUVELLE POESIE HONGROISE
Auteur : Alain Lance - Janós Szávai
Editeur : Caractères
Genre : Poésie
ISBN : 2-85446-314-5
Parution en 2001 - Nombre de pages : 268

Prix éditeur : 155 FRF