Il est quelle heure, Maurice Regnaut ?

 

 

 

 

 

...suite et fin


par
François Wittersheim

 

 

Combien étrange En 1989, Maurice écrit Merde et Sang (10). Au théâtre de l'horreur, un messager fait son récit au choeur d'ajourd'hui par le truchement d'une caméra de télévision. Témoignage d'une violence poétique inouïe sur la tragédie quotidienne de notre monde contemporain, du ''Plus jamais ça'' toujours recommencé, ce texte n'a pas encore vu sa réalisation scénique. Que doit-on attendre ?... Faudrait-il vraiment désespérer ? Qu'en est-il effectivement de la création théâtrale aujourd'hui lorsqu'on nous rabâche qu'il y a pénurie d'auteurs ? Comment ne pas songer à Diderot: Quand verra-t-on naître des poètes ? Ce sera après le temps de désastres et de grands malheurs, lorsque les peuples harassés commenceront à respirer. Alors les imaginations éhranlées par des spectacles terribles, peindront des choses inconnues à ceux qui n'en ont pas été les témoins. (11) ? Merde et Sang, théâtre épique, universel, est également une actualisation originale du schème antique. Maurice Regnaut est aussi un chercheur; de son enseignement, cet amateur de polars et de S.F. a cultivé une insatiable prédilection pour des formes littéraires toujours nouvelles et ce qu'il écrit surprend toujours par son inventivité. Qu'il s'agisse de romans ou nouvelles: Autojournal (histoire d'un pont meurtrier), Erreur bumaine (12), roman ''téléphonique'', Le dernier mot (12)... D'oeuvres poétiques hautes en couleurs comme Intermonde, Ternaires ou encore Recuiam. On devine, en cette poésie-là, quelques fragments biographiques, des réminiscences d'Eluard, d'Aragon... et dans certaines pages, une subtile architecture de mots polychromes. On appréciera aussi plusieurs articles critiques publiés dans des revues ou réunis en recueil (13). Et, bien sûr ses oeuvres dramatiques: Pacifique Cbili, Flaminal Valaire (mis en scène par Jacques Kraemer au Festival d'Avignon 80), Musique à Mort (12), ''Roméo et Juliette'' musical des temps modernes ou encore Merde et sang évoquée plus haut. D'autres sans doute à venir et d'autres que j'oublie dont Cinq fois deux (12) lue au TNS en 1985 devant un public en majorité estudiantin, admiratif et hilare. L'autre aspect considérable de son activité concerne ses traductions car seul un grand poète peut avoir le même état d'esprit que ceux qu'il traduit: Brecht, Enzensberger (avec Mausolée, prix Nelly Sachs 88 de la traduction poétique), Fassbinder, Kosztolanyi ou encore, à l'instar d'Adamov, Rilke.

Le coffre de sa DS bourré de dictionnaires, il partait parfois en Arles, à l'Espace Van Gogh, pour traduire, en compagnie de quelques autres. Une petite compensation dans ce pays où, dit-il, On le sait, la traduction est comme le crime, elle ne paie pas. Qu'on me permette de livrer au lecteur quelques considérabons de Maurice quant à la traduction, hélas ici tronquées, faute de place:


Toute pratique de la traduction implique, on le sait, une tbéorie et celle-ci axiomatiquement est donc une évidence qu'on formulera ici comme suit: parler (écrire), c'est faire usage d'une langue afin de produire un langage - et la parole (et l'écriture) est usage ainsi de Ia langue ayant un langage pour finalité. La traduction, autrement dit, n'est un problème en rien de linguistique, on le sait, mais un problème en tout de poétique- et traduire est un exercice ayant ce but idéalement qu'on pourra défnir alors, provisoirement, en quelques simples mots: trouver un langage identique en usant d'une langue autre. ( ..) Dire que traduire est un exercice à la fois un et triple, en fait c'est dire essentiellement que tout traducteur doit faire face à cette toujours même une et triple tâche: comprendre- se resituer- trouver. (14)

Il y a des signes qui ne trompent pas: le printemps arrive lorsque Maurice tombe sa crinière argentée, se fait raser le crâne ressemble alors à Brecht. A l'époque de son professorat, il aimait, en plus, chausser des lunettes noires pour faire passer les examens - un look de rocker ! Aujourd'hui il a le toujours même regard malicieux sur une moustache à la Brassens. Et son incroyable humour. Parfois incisif, toujours d'une rare intelligence. Une espèce de grand rire salvateur et communicatif qui, au milieu des nuées sombres de l'angoisse, rend aux choses leurs vraies dimensions. Autrement dit, un outil de travail vital. Maurice et son rire massif et franc si semblable à celui qu'on entend dans les toiles des anciens maîtres flamands. Ce rire revigorant du bon vivant appréciant bonne chair et bon vin, ce rire lumineux du joueur de mots... Après tout, traduire n'est-ce pas aussi distiller ?

Puis toute cette forêt d'amitiés profondément enracinées: Adamov, Aragon, Dort, Kokkos, Aperghis, Vitez, pour ne citer que ceux-là. Collaborateurs des revues Tbéâtre Populaire ou Action Poéique, membres du P.C.F., anciens étudiants, écrivains, comédiens, metteurs en scène, universitaires, artistes, épouses ou compagnes, ses enfants... Tous, nous aimons évoquer Maurice, des heures parfois, tant ce bonhomme impressionnant a réussi à nous ''marquer'. Nous lui devons plus encore que la découverte d'auteurs, plus encore que les lectures fondamentales, plus encore que ses traductions vertigineuses, nous lui devons, au quotidien, une manière de comprendre responsable et nécessaire, une intarissable envie de connaître en toute humilité. Nous lui devons quelques pistes pour aller à l'essentiel sans détours trop nombreux... Nous lui devons ses écrits...


Enfin pourraisje terminer ce panégyrique sans dire un mot de la complète générosité, de l'opiniâtre gentillesse et même de la trop grande discrétion de Maurice ? Le pourrais-je ? Ce serait oublier tout ce qui fonde ce poète révolté aux mots patinés d'amour, à l'esprit libre, essentiellement heuristique.

O monde immense
Et moi
En mes mots seuls.
(15)






(1) Charles-Louis Philippe cité par Maurice lors d'un cours.
(2) Pierre Lartigue, Un soir, Aragon Les Belles Lettres, 1995.
(3) C'est ainsi qu'Antonin Artaud désigne l'acteur.
(4) Film de Claude Chabrol.
(5) In Recuiam
(6) Arthur Adarnov, L'homme et l'enfant, Gallimard,1968.
(7) Maurice Regnaut, La nourelte critique , août-sept. 1973.
(8) Stefan Zweig, Le combat avec le démon, Belfond, 1983.
(9) Shakespeare, Macbeth, V,5.
(10) Inédit, lu pour France Culture, sept 93.
(11) Denis Diderot, De la poésie dramatique, Chap. 18.
(12) Inédit
(13) Sur, P.J. Oswald, 1975.
(14) Quant à la traduction, in Action poétique (épuisé)
(15) in Ternaires, P.J. Oswald, 1971.

article publié dans Limelight n° 49, mai 1996






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