PRETRE OUVRIER
ELLE
Sacré Sidoine, t'avais déjà fait le sacristain, du temps que moi j'étais la bonne brave curé Maxence, aujourdhui je t'ai fait venir et je vais te dire pourquoi, pour que tu te fasses prêtre.
LUI
Prêtre, pendant que t'y es, pourquoi pas me faire pape ?
ELLE
T'es qu'un ouvrier, on le sait, pas un prêtre, mais va falloir que t'en deviennes un, Sidoine, juste pour ce soir.
LUI
C'est du nouveau, ça, pour te plaire, faudrait maintenant devenir prêtre ouvrier ?
ELLE
T'oses parler parler de me plaire, à moi, depuis le temps qu'on t'a pas vu ici, on le sait, laquelle que tu vas voir.
LUI
Qu'est-ce que tu vas pas te fourrer dans la tête, à ton âge ?
ELLE
C'est pas moi qui la perds, la tête, justement, c'est Quinio, le fils de mon pauvre frère, tu te souviens de Quinio ?
LUI
Le petit Quinio, celui qui t'a appelée Ta Thée ?
ELLE
Tata Dorothée, c'était beaucoup trop difficile pour lui, il disait Ta Thé, mon brin de gamin, Ta Thée, tout le monde depuis m'appelle comme ça, comme si j'avais eu un deuxième baptême.
LUI
Il avait pas une grosse santé, ça non, à part qu'il avait pas le visage, on l'aurait même plutôt pris pour une fille, et plutôt du genre à pas faire de bruit, n'empêche que le maigrelet Quinio,il était malin comme un diable.
ELLE
Il aimait faire des farces, il tenait ça de moi, il est de notre côté, c'est de plus en plus tout le portrait de sa grand-mère, notre bonne maman, la beauté, elle s'en passait bien, elle aussi, c'était quelqu'un qu'avait la foi, et Quinio, quand il était petit, le brave curé Maxence me le disait toujours : notre Quinio, ça ferait un fier petit curé.
LUI
Il était tout le temps à fourrer son nez où il fallait pas, votre gringalet, on était jamais tranquilles, tous les deux, Ta Thé, tu te souviens quand même ?
ELLE
Me souvenir de quoi, j'ai plus l'âge, on le sait, mais pour ce qui est du gringalet, d'abord il a grandi, il a maintenant treize ans sonnés, ensuite y a eu sa mère, elle qui était pas croyante, même après la mort de sa petite, pourtant elle l'aimat, sa petite, elle en était folle, depuis l'hiver dernier elle l'a, sa mère, la maladie, et quoi y faire, ils essaient pourtant, deux fois en cinq mois, qu'ils l'ont opérée, ils lui ont tout enlevé, dans le ventre, et mon Quinio, déjà que ça ne marchait pas fort à l'école, il faisait plus rien, depuis l'hiver, du coup il est tombé malade, lui aussi, c'est tout de même sa mère, mais ces malades-là, comment les soigner, et mon frère qu'est chauffeur livreur, il est pris tout le temps, et c'est pas le moment qu'il aille perdre sa place, ce qui fait qu'avant même les vacances, il m'a écrit, mon pauvre frère, si je voulais pas le prendre avec moi ...
LUI
Quinio, bon Dieu, il est ici ?
ELLE
Il dort.
Elle montre un lit, au fond, dont on ne voit que le haut pied en bois.
On l'entendrait, s'il dormait pas, il est dans un état, j'ai jamais vu une chose pareille, à se demander s'il a encore toute sa raison, lui qu'était un enfant si calme, il veut pas mourir, c'est tout ce qu'il sait dire, toute la sainte journée il gémît qu'il veut pas mourir.
LUI
Qu'il veuille pas mourir à treize ans, ça me paraît plutôt raisonnable.
ELLE
A treize, soixante-treize ou quatre-vingt-treize, il veut pas du tout, pas mourir, jamais.
LUI
Au fond quoi, c'est ce qu'on voudrait tous.
ELLE
Mais tu t'imagines, si on se mettait tous à gémir ?
LUI
C' est à cause de ça que tu te tracasses ?
ELLE
Il dit que s'il doit mourir un jour, c'est comme s'il était déjà mort, alors faut qu'il le sache, s'il doit mourir ou pas, et c'est pour ça qu'il veut un prêtre.
LUI
Il veut pas mourir et il veut un prêtre ?
ELLE
Mais dès le premier jour, quand mon frère l'a amené, il croyait peut-être en arrivant retrouver le brave curé Maxence, et moi aussi, j'ai cru que c'étaît de la comédie, au début, c'est vrai que des fois c'est un sacré coquin, mais ce qui va plus, c'est qu'il mange rien, oui moins que rien, et qu'il dort pas, ou n'importe quand, et toutes les nuits c'est pas croyable, c'est jusqu'au matin qu'il veut pas mourir et qu'il veut un prêtre.
LUI
T'as fait venir un médecin, qu'est-ce qu'il dit ?
ELLE
Il dit qu'il a rien, médecins de campagne ou médecins de la ville, ils sont tous les mêmes, et leurs médicaments, ça remplace pas, tu comprends, ce que j'ai peur, c'est que mon petit homme, il finisse vraiment par mourir, à force de pas vouloir.
LUI
Une bonne fessée et ton petit homme, tu vas le voir aussi vite ressusciter.
ELLE
Si jamais tu t'avises de faire du mal à mon Quinio, je te tue.
LUI
Ta Thée...
ELLE
C'est un prêtre qu'il veut, un prêtre, l'oublie pas, moi heureusement, j'avais gardé du brave curé Maxence une soutane avec un chapeau, et sa Bible, tout ça est à coté, avec aussi une barbe et des lunettes, faudra même que tu changes un peu ta voix, qu'il aille pas te reconnaêtre.
LUI
Moi en prêtre, il serait encore des nôtres, le vieux curé Maxence, Dieu ait son âme, il trouverait ce jeu-là, pas très catholique, et pour faire quoi ?
ELLE
Cent fois que j'ai essayé, moi, de lui parler, mais si c'est un prêtre, il est prêt d'avance à tout croire, alors faut lui raconter quelque chose, que ça le remonte et que ça le remette sur pied, et qu'il mange, et Pour ça, pour ce qui est d'inventer des histoires, y a pas plus grand sacripant que toi, Sidoine, on le sait.
LUI
Qu'est-ce que tu veux que je lui raconte ?
ELLE
N'importe quoi, tu peux pas savoir ce qu'il peut te sortir, lui, des fois j'en pisserais de rire, rien que de l'écouter, mais quand je le vois là qui me regarde, avec ses petits yeux, on dirait que c'est deux petites souris dans leurs petites cages, qu'arrêtent pas de jeter des petits cris, non, on peut pas le laisser comme ça, Sidoine, faut le sauver.
LUI
Dieu m'a confié, que le petit Quinio vivrait dix mille ans, je vais quand même pas lui sortir ça ?
ELLE
N'importe quoi, je te dis, n'importe quoi, un bébé, que c'est, même pire, un bébébé.
LUI
Ta Thée..
ELLE
Tu me crois pas, tu vas voir ... Quinio ... Quinio...
VOIX
Non, non, je veux pas, je veux pas...
ELLE
Quinio...
Elle se précipite près du lit.
VOIX
Je veux revenir là-bas, je veux vivre...
ELLE
Mon Quinio...
VOIX
Non, pas moi...
ELLE
Mais c'est Ta Thée, tu la reconnais, Ta Thée.
VOIX
Ta Thée, toi aussi, t'es morte ...
ELLE
Morte, mais elle est vivante, Ta Thée, vivante, et toi aussi.
VOIX
Et moi aussi.
ELLE
Qu'est-ce qu'y a, tu sues, et tu trembles, raconte un petit peu à Ta Thée.
VOIX
J'ai cru que ça y était, Ta Thée, j'ai cru que j'étais mort, que je venais de mourir, au ciel et quelqu'un m'appelait, c'était la reine des anges, elle m'appelait et moi je voulais pas, moi je voulais revenir, je voulais encore vivre.
Sidoine sort.
ELLE
La reine des anges, mais c'ôtait moi, et t'as eu peur, c'était moi qui t'appelais.
VOIX
Je suis pas mort, t'es sûre, je suis pas mort ?
ELLE
Tu dormais et je t'ai réveillé, tu devines pas pourquoi, tu devines pas qui c'est que j'ai fait venir, qui c'est qui va te parler, qui c'est qui va te le dire, mon Quinio, ce que tu veux savoir ...
VOIX
Un prêtre ?
ELLE
Un prêtre en soutane, comme t'en voulais un...
VOIX
Un prêtre, ô Ta Thée, alors je vis encore, et je vais pas mourir...
ELLE
Mais oui que tu vis, et même qu'il va te remettre sur pied, celui quej'ai pris, c'en est un vrai qui s'y connaît, et tu vas retrouver ton appétit...
VOIX
Il est là, je veux qu'il vienne.
Entre Sidoine en prêtre.
ELLE
Jésus Marie Joseph, il arrive, et je vous laisse, et c'est l'homme de Dieu, l'oublie pas, mon angelot.
Elle sort.
VOIX
C'est vrai que tu lui parles, à Dieu, et que Lui te parle, à toi ?
LUI
Oui, mon enfant, Lui nous parle et nous Lui parlons.
VOIX
Alors tu Lui dis que je veux pas mourir, t'entends, je veux pas mourir, que tout le monde meure, tous les autres, ça je veux bien, mais pas moi, tu Lui dis, pas moi.
LUI
Calme-toi, mon enfant, Dieu m'a déjà parlé.
VOIX
Et qu'est-ce qu'Il t'a dit ?
LUI
Dieu m'a dit : Quinio est mon fils bien-aimé, en qui j'ai placé, toutes mes espérances, et mon fils bien-aimé vivra éternellemerit
VOIX
Il t'a dit ça, t's sûr, Il t'a dit ça ?
LUI
Telle est, mon enfant, la parole de Dieu.
VOIX
Son fils bien-aimé, moi, Il t'a dit pourquoi ?
LUI
Dieu m'a dit : Quinio est mon fils bien-aimé parce qu'il est pour Moi le plus beau...
VOIX
Le plus beau, moi...
LUI
Le plus fort ...
VOIX
Le plus fort, moi, même les filles me battent...
LUI
Le plus intelligent...
VOIX
Le plus intelligent, moi, je suis toujours le dernier en classe...
LUI
Dieu voit la vérité.
VOIX
Et je mourrai jamais, moi, jamais ?
LUI
A une condition, mon enfant, à une condition, Dieu m'a dit : il y a ce que mon fils bien-aimé est pour Moi, il y a ce qu'il est pour les hommes, et c'est pourquoi devant les hommes, devant tous, quels qu'ils soient, mon fils reconnaîtra ce qu'il est pour eux, le moins beau ...
VOIX
Le moins beau, moi ...
LUI
Le moins fort ...
VOIX
Le moins fort, moi, même les filles me battent...
LUI
Le moins intelligent...
VOIX
Le moins intelligent, moi, je suis toujours le dernier de la classe...
LUI
Telle est la condition, m'a dit Dieu, à laquelle mon fils, mon Quinio bien-aimé, vivra éternellement.
VOIX
Personne, c'est ça, à part moi et Lui,, personne doit savoir que son fils bien-aimé, c'est moi, c'est ça le jeu, d'accord, tu Lui dis, c'est d'accord.
LUI
Dieu s'en réjouit, mon cher enfant.
VOIX
Mais c'est pas des blagues, Dieu, ce qu'Il te raconte, Il sait ce qu'Il dit, Dieu, t'es sûr ?
LUI
Dieu voit la vérité.
Entre Ta Thée.
ELLE
C'est mon Quinio...
VOIX
Ta Thée, Ta Thée, je suis le fils de Dieu, t'entends, je suis Son fils bien-aimé, c'est Lui, Dieu, qui l'a dit, il m'aime, Lui, Il m'aime.
ELLE
Mais oui qu'Il t'aime, mais y pas que Lui, moi aussi, mon Quinio, moi aussi je t'aime, c'est quand je serai plus là que tu t'en rendras compte.
VOIX
Et tu sais pas pourquoi Il m'aime, Dieu, parce que c'est moi le moins beau...
ELLE
Le moins beau, mon mignot, mais c'est moi, ici, la moins belle, c'est moi ...
VOIX
C'est moi, le moins beau, c'est moi, c'est moi aussi le moins fort...
ELLE
Le moins fort, qu'est-ce que ça veut dire, mon loupiot, mais c'est moi, la moins forte...
VOIX
C'est moi, t'entends, c'est moi, et le moins intelligent, c'est moi aussi...
ELLE
Qu'est-ce que t'as pu encore lui raconter, mais c'est moi, c'est moi, c'est Ta Thée la moins intelligente...
VOIX
C'est Quinio, c'est moi, moi le dernier en classe...
ELLE
En classe, mais c'est moi qui étais toujours la dernière, même que la nuit je fais des cauchemars, à mon âge, des cauchemars terribles, je rêve que je dois le lendemain matin retourner à l'école...
LUI
C'est pas toi, c'est moi-, moi le moins intelligent...
ELLE
La moins intelligente, Dieu sait que c'est moi...
ELLE
Il a faim.
VOIX
Je crève de faim, je veux manger, une omelette.
ELLE
Une omelette, une omelette au lard, tu les aimes, les omelettes de Ta Thée, Ta Thée va t'en faire une tout de suite, une bonne omelette au lard, tout de suite, il crève de faim, il est sauvé, merci mon Dieu, merci.
LUI
Et pour moi rien, même pas un verre, avec ce gredin ça changera jamais, ça sera toujours moi le dindon de la farce.
Il se démasque.
VOIX
Sidoine... C'est Sidoine...
ELLE
Qu'est-ce qu'y a ?
VOIX
Tricheur, Sidoine, tricheur, et toi aussi...
ELLE
Mon Quinio...
VOIX
Je suis pas ton Quinio, t'entends, t'es comme maman, mais moi non plus je t'aime pas, va-t-en aussi, je veux plus te voir, va-t-en, je veux mourir, je veux mourir, je veux mourir...
LUI
Il veut mourir maintenant, avant il voulait pas, ça prouve quand même qu'il est guéri.
ELLE
Guéri, il l'était, guéri, il allait manger, sacredieu, et dire qu'avec ça il va me faire jurer, mais c'est le diable que t'as dans la peau, qu'est-ce qui t'a pris d'enlever ton masque ?
LUI
Prépare-lui plutôt son omelette, avec beaucoup de lard, et dès qu'il va sentir l'odeur, tu vas le voir pointer le bout du nez, ton Quinio, et sauter du lit.
ELLE
Quelle idée aussi j'ai eue là, de te faire venir, mais depuis la mort du brave curé Maxence, y en a plus, des vrais prêtres, y en a plus.
LUI
Tant qu'y a pas de vrais mourants
Un grand cri, elle se précipite.
ELLE
Quinio, mon Quinio... c'est Ta Thée... il est mort...
LUI
Il est mort, secoue-moi plutôt ça, fais-lui un peu mal, à ta petite crapule, ça lui fera du bien.
ELLE
Viens le voir, ses yeux bougent plus, ils sont grand ouverts, ses yeux et sa bouche, mais viens le voir, regarde, Sidoine.
LUI
Bon Dieu de bon Dieu, j'aurais dû me douter qu'avec toi, je me retrouverais encore dans un beau merdier, mais qu'est-ce que je suis venu foutre ici
Il enlève la soutane.
ELLE
C'est pas maintenant que tu veux te sauver, pour aller où, la rejoindre, on le sait, et moi ici, moi toute seule avec mon Quinio...
LUI
Ton Quinio, j'en ai plein le cul de toutes tes conneries...
ELLE
C'est toi qui l'as fait mourir, mais oui que c'est toi, et dire que c'était sacristain, bouge d'ici et tu vois ce couteau, je te coupe la tripe avec, moi Ta Thée, je te la coupe...
LUI
Ma salope, t'as peut-être eu le vieux Maxence, mais si t'as cru que moi j'allais dire amen...
Ils se battent. Elle s'écroule et gémit.
ELLE
Ma tête... ma tête...
LUI
Ta tête, et quoi, elle a cogné...
ELLE
Mon Quinio... ma tête... mon Quinio qu'est mort... moi aussi ... je veux un prêtre ...
LUI
Un prêtre, t'as même pas besoin d'un médecin...
ELLE
Je veux un prêtre ... je vais mourir...
LUI
Mourir... Ta Thée... holà, pas de blague...
ELLE
Un prêtre, un vrai
LUI
Bon Dieu de bon Dieu de bon Dieu...
ELLE
Un prêtre, vite, un prêtre... un prêtre...
VOIX
Ta Thée... Ta Thée... tu m'appelles ?